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Gifu/Gifu

‘鬼は外…’ – Gifu Castle, Gifu

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Je m’organise sur un coup de tête une sortie au château de Gifu. Le temps est maussade ces derniers temps, il a même neigé la semaine dernière. Comme on annonçait de la pluie aujourd’hui je m’y suis rendu hier malgré la grisaille, mais finalement il fait soleil et presque 15 degrés à l’heure où je rédige ce billet.

La ville de Gifu est le chef-lieu de la préfecture du même nom. Située au nord de celle d’Aichi, il est préférable de s’y rendre en train afin d’éviter les pénibles bouchons de la grande boucle autour de Nagoya. Pendant le trajet qui prend autour de 45 minutes je m’écoute l’album Merkmal de la chanteuse japonaise Salyu. Comme il s’agit d’une ligne de chemin de fer que je n’emprunte pratiquement jamais je contemple le paysage en rêvassant. J’aime assez l’idée d’associer un album à un lieu, une ligne de bus ou de train, ou bien encore une portion d’autoroute. Quand j’y réfléchis, je crois que cette idée m’obstine depuis la période où, alors étudiant, j’écoutais l’album Parachutes de Coldplay à chaque fois que je faisais le trajet de Metz vers Châlons-en-Champagne, gare située à mi-chemin entre Metz et Paris. Une personne que j’appréciais alors beaucoup habitait à la capitale et nous nous retrouvions régulièrement à Châlons, bavardions quelques heures dans un café près de la gare puis repartions chacun de notre côté, avec à nouveau Parachutes dans les oreilles. (A noter que même sans cette ‘charge émotionnelle’, je pense qu’il s’agit d’un excellent album, sinon le seul bon album du groupe). Je m’égare.

Si je me réfère à mes statistiques Last.fm, je n’avais pas écouté Salyu depuis plus de dix ans. Elle s’est récemment immiscée dans mes suggestions et je me suis souvenu à une époque avoir énormément écouté Merkmal, de très loin son meilleur album. Pour une fois avec Keiko nous avions une artiste en commun, nous avions même été la voir en concert le 17 avril 2009 dans le cadre de la Merkmal 2009 Tour au Aichi Prefectural Art Theater ( dont je parlais récemment ici, à croire que tout est lié … ) Les premiers titres de l’album sont ce que la pop japonaise a de mieux à offrir à l’époque. L’orchestration, aux nombreuses couches, très théâtrale, est irréprochable, les refrains sont somptueux et la voix de Salyu est suffisamment puissante et maîtrisée pour que l’ensemble soit cohérent. Il faut dire que ce n’est rien d’autre que c’est Takeshi Kobayashi (小林 武史) qui est à la baguette sur cet album. Ce compositeur et producteur est une légende dans le milieu, ayant composé entre autre pour les artistes renommés tels que Mr.Children, My Little Lover, Back Number ou encore Hiroji Miyamoto. L’album monte en puissance et atteint son paroxysme avec le sublime VALON-1. Que ce soit dans sa construction, l’enveloppante profondeur de son orchestration, l’interprétation pleine d’émotion ou encore ses paroles chargées d’espoir, la chanson est parfaite en tout points. En terme de musique solennelle et universelle je la préfère largement au Jupiter, le pompeux titre d’Ayaka Hirahara (平原綾香) et son synthétiseur mollasson, que l’on croit bon de faire retentir dés qu’il s’agit de vouloir faire pleurer son public. Tandis que j’écoute VALON-1 en boucle je suis presque déçu d’arriver à destination, et pousse un profond soupir en rangeant mes écouteurs.

J’ai prévu de marcher de la gare de Gifu jusqu’au pied du Mont Kinka (金華山) puis de monter à pied jusqu’au château qui se trouve au sommet, ce qui devrait me prendre en tout deux heures en prenant mon temps. Il est facile de s’orienter dans la ville car même si le château est trop petit pour être visible de loin, le Mont Kinka apparaît et disparaît derrière les bâtiments au fur et à mesure que j’avance. Le hasard me mène au pied du temple Gifu Zenkō-ji 岐阜善光寺 – également appelé Inaba Zenkō-ji 伊奈波善光寺, Mont Inaba étant l’ancien nom du Mont Kinka dont l’entrée est gardée par un terrifiant ogre rouge aka-oni. Ogres et démons font leur apparition dans le pays à l’approche du setsubun, fête traditionnelle qui a lieu chaque année début février, et que l’on chasse de chez soi en leur jetant des graines de soja grillées. Après avoir fait rapidement le tour du temple je pense faire inscrire son sceau Goshuin dans mon carnet mais un écriteau indique que ‘la collecte des sceaux est un acte religieux et non un stamp rally‘. A bon entendeur salut …

Si le château de Gifu a été construit en 1201, il est notamment connu pour avoir assiégé par le seigneur de guerre Oda Nobunaga en 1567. Le château actuel est une construction en ciment réalisée en 1956. On peut y grimper en empruntant le funiculaire ou l’un des dix sentiers aménagés. Je choisis le plus long, intitulé Meisō no komichi めい想の小径, qui monte jusqu’au sommet à 329m sur un parcours long de 2.3km tout en permettant d’apprécier une vue dégagée sur la plaine derrière le château, dont la vue est d’habitude obstruée par le Mont Kinka. Par beau temps il parait que l’on peut apercevoir au loin le Mont Ontake (御嶽山) mais ce sera pour une autre fois. L’ascension se fait sans grosses difficultés en un peu moins d’une heure. Une fois en haut j’admire le château sous tout ses angles puis monte au sommet. Avec pareille vue sur les alentours on imagine aisément l’enjeu stratégique que représentait cet emplacement à l’époque ! Afin d’épargner mes genoux je redescends en funiculaire et prends le bus jusqu’à la gare. Dans le train du retour je poursuis mon écoute de Merkmal. Au final rien n’est à jeter dans cet album, même le curieux titre Howa 飽和 tombe à point en tant qu’interlude. Tout est tellement parfait qu’à la limite il en manque presque de personnalité, comme si tout avait était établi d’après de compliquées formules scientifiques connues seules du dément Kobayashi ; un bémol, un ou deux titres un peu moins bons par-ci par-là en aurait fait un album un peu plus humain, organique et chaleureux.