Press ‘Play’ to reminisce






Sans smartphone, j’ai durant trois interminables semaines été privé de musique lors de mes déplacements. Lors des quelques premiers jours j’ai pensé que ce serait l’occasion de réfléchir un peu, d’organiser mes idées et mes journées de travail en prévisualisant celles-ci mais je me suis vite rendu compte que d’une part le temps que la machine se mette en route que je suis déjà arrivé à la gare, mais surtout à confirmer ce que je redoutais, c’est à dire que je suis incapable de structurer mes idées sans les coucher sur papier, en les encadrant et les reliant à grand renforts de flèches. 
Pour combler ce silence que je ne saurai entendre davantage j’ai tout d’abord pensé acheter un lecteur mp3 basique, mais ce serait avouer mon addiction. J’ai donc farfouillé dans mes affaires et en ai ressorti mon vieux dictaphone, auquel je pense ne pas avoir touché depuis quatre ou cinq ans et dont je n’ai qu’un vague souvenir du contenu. Pendant plusieurs jours j’écoute ainsi de nombreuses heures d’enregistrements divers : La voix de mon fils aîné, encore celle d’un enfant, avant que sa voix ait muée et qu’elle ressemble à la mienne au point qu’il arrive de nous confondre, imitant les directives d’un contrôleur de trafic aérien. Des enregistrements de conférences et de groupes d’études autour du tourisme (l’agréable et lointaine époque où j’aimais presque mon travail). L’enregistrement audio du passage du groupe Clammbon au Fuji Rock en 2019, que je me souviens avoir tenté de faire passer au format mp3 en raccordant l’appareil à l’ordinateur. Je m’étais trompé dans la configuration et le concert avait découpé en une soixantaine de morceaux, une nouvelle piste débutant à chaque blanc de plus d’une seconde. Suit le séjour de deux jours à Tōkyō en février 2019, que j’avais pratiquement intégralement enregistré, du vol JL200 de Nagoya à Tōkyō (dont j’avais fait un petit montage publié ici) jusqu’à l’embarquement de Haneda le lendemain. Quelle curieuse sensation d’entendre les sons d’une ville différente de celle où l’on se déplace, et mon étonnement quand, même cinq ans plus tard, je sais exactement à quel moment, à quel endroit j’ai entendu un son en particulier : conversation entre deux filles à la sortie de l’avion à Haneda, gosse en pleurs qui se fait gronder en chinois pas ses parents dans la station de métro à Ginza, le capharnaüm du Tower Records de Shibuya. Je suis capable de siffloter l’air de la musique d’accueil qui émanait de la télé préalablement allumée quand je suis entré dans la chambre (alors que je suis incapable de me remémorer ni le lieu ni le nom de l’hôtel) et me suis immédiatement souvenu, avant de l’entendre, que 7 Rings d’Ariana Grande passait sur MTV quand j’ai changé de chaîne. J’ai très mauvaise mémoire en général, à part pour tout ce qui est en rapport au son. C’est comme si l’espace de ma mémoire mis à disposition de tout ce qui est relatif à l’ouïe et aux sons était disproportionné par rapport au reste.
