Envie d’ennui ?






C’est la rentrée. Le mois d’août a été, cette année encore, on ne peut plus chargé. Les enfants grandissent, prennent de plus en plus de place. La maison déborde d’objets leur appartenant. On se marche dessus, on se bouscule. A force d’avoir à refréner l’envie croissante de péter les plombs d’avoir les enfants à la maison pendant les deux éternités que représentent ce pourtant si court mois de vacances, les jours de congés sont presque plus éreintants que ceux passés au travail. En parallèle leur univers s’expand de jour en jour. Nouvelles écoles, nouvelles activités, nouveaux ami(e)s, ils sont de moins en moins à la maison et jamais jusqu’ici n’avons nous trouvé autant de difficultés à accorder nos quatre emplois du temps pour organiser nos sorties ensemble.
Cet été aura été marqué par les débuts de l’aîné, sous une chaleur accablante, aux compétitions régionales d’athlétisme sur 800 et 1.500 mètres et un agréable week-end en bord de mer dans la région de Wakasa dans la prefecture de Fukui. Nous serons aussi retournés, après un copieux repas yakiniku (méthode japonaise de cuisson des viandes et des légumes sur une plaque chauffante) à la tour d’observation Umiterasu 14 située dans le port de Yokkaichi et traversé en train de long en large la prefecture d’Aichi afin d’accomplir le ‘Pokemon Mega Stamp Rally‘, genre de chasse au trésor qui consiste à visiter vingt gares situées sur le parcours de la compagnie de chemins de fer Meitetsu pour y trouver des tampons encreurs. Compléter le carnet permet de remporter des stickers auto-collants et un petit porte-clef médaillon doré Pikachu -revendu déjà sur des sites de marché en ligne pour 20 Euros. A noter que nous n’aurons pas été gâtes par la météo, il aura plu où que nous allions. Le mois se sera terminé sur un aller-retour express à la capitale pour le travail – la foule, le bruit … Shibuya fin août est la définition du chaos – et la semaine consacrée à la course de trail UTMB, course qui ne cesse de n’émerveiller.
Pendant tout l’été j’ai complètement laissé le blog de côté, je n’ai d’ailleurs même pas pris la peine de sortir mon appareil photo ni mes carnets pour amasser du matériau pour la rédaction d’un article. Même une fois le mois de septembre entamé, je suis assez surpris par la difficulté rencontrée pour me remettre à écrire, un peu comme un gosse qui n’a pas envie de retourner à l’école. Il faut dire que depuis trois semaines je suis en quelque sorte coupé du monde digital, mon smartphone étant devenu pratiquement inutilisable. J’ai réinitialisé mon appareil et j’en ai profité pour ne pas y réinstaller Instagram et autres applications chronophages. J’ai passé le temps ainsi devenu disponible à lire, dans le train, pendant la pause de midi ou dès que j’ai une dizaine de minutes devant moi. N’ayant ‘plus rien à faire’ les soirs de congés je me suis mis à me coucher de bonne heure, me levant tôt le matin pour aller courir avant que la canicule rende la chose impossible. Pour prendre ma dose il me suffirait bien sûr d’utiliser mon ordinateur mais celui-ci n’est pas toujours à portée de main et son emploi implique une certaine contrainte qui suffit à me faire abandonner cette idée.
Il y a quelques jours mon smartphone a rendu l’âme et je me suis trouvé contraint de l’envoyer en réparation. ‘Sans musique, la vie serait une erreur’ disait Nietzsche, et si je peux apparemment me passer des réseaux sociaux, des vidéos et de tout ce qui m’aura jusqu’ici semblé contre-productif, marcher cinquante minutes tard le soir au retour du travail sans musique, émission radio ou podcast pour m’occuper m’aura été un véritable calvaire au point qu’à mi-chemin j’ai failli me mettre à courir afin d’abréger mes souffrances. Ce n’est pas souvent que je me retrouve seul avec mes pensées, en fait je fais toujours en sorte que cela arrive le moins possible. Je troquerais bien mon smartphone, une fois réparé, pour un lecteur mp3 même bas-de-gamme.
‘Hima to Taikutsu no Tetsugaku‘ (暇と退屈の哲学, 2011), littéralement ‘Philosophie du loisir et de l’ennui’ est un ouvrage du philosophe japonais contemporain Kōichirō Kokubun (國分功一郎) qui explore la manière dont l’être humain fait face au temps libre (暇, hima) et au sentiment d’ennui (退屈, taikutsu) en s’inspirant de pensées occidentales et les met en dialogue avec des problématiques contemporaines, en particulier dans la société moderne où l’ennui est souvent perçu comme un mal à éviter. Je m’en étais emparé il y’a environ deux ans de cela mais m’étais arrêté quelque part au premier tiers des 400 pages de l’ouvrage, la lecture en étant trop longue et fastidieuse. Me sentant dernièrement particulièrement concerné par le problème j’en ai retenté la lecture depuis le début – puisque j’en ai le temps, et le sujet est loin d’être … ennuyeux (désolé). Quand mes collègues se plaignent du sentiment d’avoir perdu leur journée de congé lorsqu’ils la passent devant la télé, de mon côté je culpabilise d’être incapable de rester à ne rien faire plus d’une heure ou deux. Dans les deux cas la fonction me semble être la même, elle ne correspond qu’à un besoin de se changer les idées, il est juste étonnant que quoique l’on fasse on n’en soit jamais satisfait. Ce blog n’est qu’un kibarashi (気晴らし), une diversion, un moyen de tromper l’ennui. Moins je m’ennuierai, moins j’y reviendrai.
