Bref passage à Nagoya Zokei University (NZU), pour le plaisir des yeux. J’aime l’architecture mais j’en parle extrêmement mal. Des formes, des motifs, des courbes peuvent m’être agréable sans que je ne sache concrètement expliquer pourquoi. Afin de devenir capable de mettre des mots sur ces sensations je m’étais il y a quelques années inscrit à un cours sur l’architecture sur la plateforme d’apprentissage en ligne edX, mais j’ai abandonné à mi-chemin. Je suis intéressé, mais pas passionné semble-t-il. L’inscription sur cette plateforme fondée par le MIT et l’université d’Harvard ne m’aura cependant pas été complètement inutile puisque de fil en aiguille elle m’aura permis d’acquérir les bases de la programmation en langage Python grâce aux cours du CS50 de HarvardX. Au lieu de peiner à trouver les mots justes, peut-être devrais-je de temps en temps juste me laisser aller et abandonner, en ne publiant que des photos.
Si je me souviens vaguement que la dernière fois que je me suis baladé à l’université de Nagoya l’allée principale était en travaux, j’ai été fort surpris de voir le résultat dans le dernier numéro du magazine d’architecture Shinkenchiku. Une balade s’impose malgré le temps maussade cette semaine, en espérant qu’il ne pleuve pas – emoji mains qui prient.
Le bâtiment Common Nexus (東海国立大学機構 Common Nexus), surnommé ComoNe, situé sur le campus Higashiyama de l’Université de Nagoya, a été conçu par le cabinet d’architecture de Tetsuo Kobori (小堀哲夫). Il a pour mission de favoriser la co-création, l’échange intergénérationnel et interdisciplinaire en mettant à disposition des espaces ouverts à la communauté universitaire, aux chercheurs, aux artistes, ainsi qu’aux habitants locaux et aux enfants. Vue de face, on a l’impression à première vue que les infrastructures sont situées sous-terre, le plan de verdure incliné que l’on a devant soi formant le toit du bâtiment tout en faisant également office de terrasse. Je suppose que par beau temps on peut s’y balader librement mais aujourd’hui l’accès y est malheureusement interdit, ce qui ne m’empêche pas d’emprunter les différentes passerelles, faisant dépasser ma tête ici et là, à chaque fois d’un nouvel endroit, comme un chien de prairie curieux.
La pluie se met à tomber, je me réfugié à l’intérieur. Grace aux façades en verre l’endroit est particulièrement lumineux malgré le temps au dehors. Il n’y a pas un bruit, au point que je me demande si j’ai vraiment le droit d’être là, mais les employés ne semblent pas vouloir me chasser quand je les croise. Partout, des étudiants seuls ou en groupes, sur leurs tablettes ou leurs ordinateurs sont en train de recréer le monde de demain. L’atmosphère du lieu incite à la réflexion et aux études, et je ne peux m’empêcher de regretter de ne pas avoir poursuivi les miennes un peu plus loin, peut-être jusqu’à la recherche, en sociologie japonaise ou en linguistique. J’ai bien conscience que j’en ai une vision romancée de la profession, celle du type entouré de piles de livres, absorbé dans ses lectures, écrivant sur ce qu’il aime. Il m’arrive de me demander si ce blog n’est pas d’une certaine manière ma façon de vivre cette ‘vocation’ manquée. Mais vu le chaos qui règne dans ces pages, je peine à croire que je serai allé bien loin.
Ma petite balade dans la ville de Gifu m’a fortement apaisé. Après une épanouissante sortie je suis toujours serein et bienveillant, ‘en harmonie avec moi-même‘ comme on dit. Comme après avoir écouté un bon disque ou terminé un bon livre dont j’aurai dégusté chaque mot, le temps semble s’écouler plus lentement. Dans le train du retour je me sens intouchable, le stress provoqué par le bruit, la chaleur, et autres petites incivilités autour de moi ne m’atteint plus. Ce n’est qu’en triant les photos prises ce jour-là que j’en viens à me demander d’où ce bien-être peut bien venir. Dans un premier temps je pensais que c’était à mettre sur le compte du calme ambiant pour une ville de plus de 400.000 personnes ou encore à la proximité de la nature, avec la rivière Nagara (長良川) et le majestueux Mont Kinka (金華山) visibles où que l’on soit dans la ville, mais le nombre important de bâtiments en bois disséminées un peu partout y est vraisemblablement pour beaucoup. Lors de mes promenades je suis plutôt habitué au béton et aux gratte-ciels, j’étais d’ailleurs dans un premier temps venu dans le coin pour voir le Convention Center de Tadao Ando, maître en la matière. Je suis très étonné du nombre de variations de couleurs que peut offrir le bois, et ce que le bâtiment soit apparemment neuf ou ancien. J’y ferai plus attention lors de mes prochaines promenades.
Il m’a fallu près d’une heure et demie pour enfin atteindre le Nagaragawa Convention Center, situé au nord de la ville de Gifu, au bord de la rivière Nagara (長良川). Le bâtiment, dont la caractéristique principale est sa salle de conférence principale en forme d’œuf, a été dessiné par Tadao Ando (安藤忠雄) et sa construction s’est terminée en 1995. Je me faisais une joie de me balader aux alentours d’un des rares bâtiment de l’architecte dans la région, aussi quelle n’a pas été ma déception quand j’ai aperçu ces grues et ces échafaudages ! Il semblerait que le plafond du bâtiment fasse l’objet de travaux de rénovation jusqu’en mars 2026. Quand j’y repense maintenant que j’écris ce billet, je ne me souviens pas avoir vu ces travaux mentionnés sur le site avant de m’y rendre alors que c’est maintenant inscrit en grosses lettres rouges bien visibles. Peut-être bien ne suis-je pas le seul à m’être fait avoir … Quoiqu’il en soit, sur le coup je suis extrêmement déçu et peste contre mon manque d’organisation et le temps perdu. ‘Ki ni shinai‘ (ce n’est pas grave)… Je décide de marcher le long de la rivière pour me calmer et réfléchir à quoi faire …
Après dix minutes de marche j’aperçois au loin quatre ou cinq barques faisant des aller-retours d’un bord à l’autre de la rivière. Il s’agit des embarcations en bois non motorisées utilisées pour assister à l’ukai (鵜飼), la pêche au cormoran, un style de pêche pratiquée depuis plus de 1,300 ans et dont la région est particulièrement fière. Il semblerait que je sois en train d’assister à une séance d’entraînement à la manœuvre des barques. Celles-ci doivent faire un poids considérable car une trentaines de personnes peuvent monter à bord. Si en apparence le cours d’eau semble relativement calme, au centre de la rivière de forts remous rendent la traversée difficile. Les bateaux se lancent les uns après les autres avec deux hommes à leur bord, un à l’avant, l’autre à l’arrière. Sur la barge un homme d’une soixante d’années, costaud, à la voix qui porte, hurle des ordres et des directives. Il s’en prend parfois verbalement assez violemment à un homme dans la quarantaine, qui autant qu’il se démène à l’arrière, peine à maintenir le bateau dans un angle qui lui permette de passer le courant.
Après avoir pris mon déjeuner au restaurant du Nagara River Cormorant Fishing Museum situé l’étage, je me balade au hasard d’étroites ruelles mêlant petites auberges, hôtels et résidences. Bientôt mon attention est attirée par des cris rauques et gutturaux auxquels viennent s’ajouter au fur et à mesure que je m’approche de leur source une très forte odeur de poisson. Mes pas me mènent ainsi à la résidence de Masahiko Sugiyama (杉山雅彦), un ushō (鵜匠) célèbre. Un ushō est un ‘maître pêcheur au cormoran‘, pêcheur chevronné de la pêche ukai. Pendant la pêche ukai celui-ci se tient à la proue de sa barque et dirige jusqu’à dix ou douze oiseaux à la fois. Pratiqué de nuit, la lueur des flammes suspendues à l’avant des barques attire les poissons vers la surface. Dès qu’un cormoran capture un poisson en plongeant dans la rivière, le maître le ramène à lui grâce à la corde et le fait régurgiter le poisson, un nœud autour du cou empêchant l’oiseau d’avaler les plus gros poissons. Le titre de maître pêcheur au cormoran est héréditaire et appartient à six familles de la ville de Gifu et à trois de la ville de Seki. Ces neuf ushō, dont Sugiyama fait partie, possèdent un statut de fonctionnaire civil rattaché à la Maison Impériale et ont pour responsabilité de pêcher des poisson d’eau douce ayu destinés à la consommation de la famille impériale. Dans la cour de la maison sont soigneusement disposés, comme dans un musée, les ustensiles nécessaires à la pêche, tels les copeaux de bois pour le feu à l’avant de la barque ou bien la paille pour confectionner les habits des pêcheurs. Difficile de savoir si j’ai la permission d’être dans cette cour, en tout cas je me sens comme observé. Derrière les barreaux de sa cabane, un cormoran me fixe du regard. Je reste un moment à observer l’oiseau derrière les barreaux. Ces oiseaux vivent en étroite relation avec leur dresseur, qui les nourrit, les soigne et les entraîne chaque jour. Le lien entre l’homme et l’animal est fondamental dans la pratique de l’ukai, qui me semble reposer sur une connaissance fine du comportement des cormorans et sur une confiance réciproque. Cette scène discrète, à l’écart du spectacle touristique, m’a offert un rare aperçu du quotidien d’un métier ancestral encore vivant. Je me félicite de ne pas avoir baissé les bras et d’avoir suivi mon instinct.
Une à une je tente de rayer de ma liste les choses à faire, à voir ou à visiter. Alors que je suis passé en train des dizaines de fois devant, cela faisait ainsi bien longtemps que je voulais photographier les gigantesques entrepôts appartenant à l’entreprise de logistique Chūkyo Sо̄ko Logistics Company (中京倉庫), à environ dix minutes à pied de la gare de Jingūmae (神宮前). Si les entrepôts exercent sur moi une certaine fascination depuis que je sais qu’ils peuvent contenir un avion comme c’est le cas au Flight of Dreams à l’aéroport international de Chūbu Centrair, plus que l’intérieur à propos duquel on ne peut de toute manière que faire des spéculations, je suis ici davantage intrigué par les escaliers en extérieur qui longent leurs parois. Leur disposition non symétrique, presque aléatoire, me donne l’impression de voir se révéler le derrière de la scène d’un niveau de jeu de plate-formes où le personnage disparaît derrière une porte pour soudainement réapparaître à un endroit complètement différent du paysage afin de surprendre son adversaire. Le bâtiment doit bien faire plus d’une trentaine de mètres de haut, même si je n’ai pas particulièrement peur des hauteurs et du vide je ne pense pas être en mesure d’emprunter ces raccourcis en courant tel un super-héros.
Le quartier de Hoshigaoka se signale également par son luxe. La chaine de grands magasins Mitsukoshi se trouve juste à la sortie du métro et un nouveau complexe de boutiques et de restaurants, appelé Hoshigaoka Terrace, y a été ouvert en 2003. De l’avenue principale jusqu’aux arrière-boutique, tout est méticuleusement propre et rangé au point que c’en est presque ennuyant. C’est également ici que je tombe par hasard sur un magasin vendant des Porsche d’occasion puis le fameux concessionnaire Lexus réputé pour être celui vendant le plus grand nombre de véhicules de la marque de tout le pays, grâce notamment à un service clients que l’on dit exceptionnel. La petite histoire selon laquelle le garde à l’entrée du magasin, habillé comme un portier d’hôtel, fait en forme de respect et de remerciement une courbette à chaque fois qu’une Lexus passe devant est maintenant célèbre à force d’avoir été repris dans les médias et de nombreux livres. Apparement l’endroit aurait servi de modèle pour une scène apparaissant dans le livre de Haruki Murakami ‘L’Incolore Tsukuru Tazaki’, qui se déroule en partie à Nagoya, mais je ne parviens pas à me souvenir de cette scène en particulier. A force de lire ses livres depuis vingt ans en français et en japonais toutes ses histoires se chamboulent.
La dernière photo pourra sembler banale mais j’ai eu comme une révélation en passant devant cet immeuble. Si la gare de Fujigaoka sert de terminus pour une partie des bus municipaux de Nagoya, on pourra s’étonner que le rez-de-chaussée d’un logement social serve d’entrepôt de bus. Ce modèle d’optimisation de l’espace m’a immédiatement fait penser à l’exemple nommé ‘bus housing’ dans le bouquin Made in Tokyo (2001, Kajima Institute Publishing) qui répertorie les étonnantes cohabitations architecturales dans la capitale. ‘There is a ‘void phobia’ in Tokyo, which instils a reaction of ‘what a waste!’ when we see unused space. Everywhere, the desire to find and fill gaps can be seen.‘ J’imagine l’odeur des gaz d’échappement et surtout le vacarme que font les bus aux départs et aux arrivées. Un rêve, un cauchemar plutôt !
Le temple Zenkō-ji Betsu-in Gannō-ji (善光寺別院願王寺), succursale (別院) du temple Zenkōji de Nagano, fut fondé il y a environ 1,200 ans, en l’an 829, sur les rives sud du fleuve Shōnai, au nord-ouest de l’actuelle ville de Nagoya. Selon la tradition du temple, cette année-là une épidémie dévastatrice frappa la région, provoquant la mort de nombreuses personnes. Il est dit qu’un éminent moine se rendit sur le site où se trouve aujourd’hui le temple, y installa une statue du Bouddha Yakushi (le Bouddha de la médecine) et y pratiqua un rituel secret destiné à éliminer les épidémies, apportant ainsi ses soins aux malades. Ce lieu devint ainsi un centre de prières pour la guérison et la protection contre les épidémies.
Le temple doit son nom actuel à la venue, en 1909, d’un moine nommé Fukurai, qui fit venir la statue du Bouddha Zenkōji depuis le célèbre temple Zenkoji, dans la région de Shinshū (Nagano). Avec le temps, le bâtiment se détériora sous l’effet des intempéries mais en 1974 fut crée, grâce aux dons des fidèles, un nouveau pavillon, en forme de pentagone et entièrement vitré, conservant néanmoins les matériaux d’origine. La structure, audacieuse surtout pour l’époque, valut l’attribution d’un prix de la part de l’Architectural Institute of Japan (AIJ) (日本建築学会) à son auteur Yasutaka Yamasaki (山崎泰孝). Si cela faisait un petit moment que je voulais m’y rendre, c’est le fait d’avoir vu surgir dans l’appli Photos des photographies de notre séjour en famille autour du Mont Ontake et à Nagano, au Temple Zenkoji justement, en juin 2011, qui m’a rappelé à l’ordre.
Vu de l’extérieur c’est comme si l’on avait construit un temple autour du temple, mais une fois à l’intérieur, le fait d’avoir grimpé les quelques marches jusqu’au pavillon, de m’être déchaussé puis d’y être entré par une petite porte coulissante me donne plutôt l’impression d’être rentré chez moi, sensation accentuée par le fait que j’ai le bâtiment pour moi seul et la présence, à gauche de l’autel principal, d’une table longue en bois entourée d’une dizaine de chaises et d’une étagère faisant office de bibliothèque. Sauf mon respect, il ne manquerait plus qu’une cafetière et quelques gâteaux pour que j’y passe toute la journée à bouquiner, écrire ou rédiger mon blog. Cette sensation, pour un lieu sacré, m’est nouvelle et agréable, je me demande si ce n’est pas dû au fait que les temples Zenkōji ne soient affiliés à aucune des treize écoles principales du bouddhisme japonais et accepte tout le monde sans distinction.
Je n’ose cependant pas m’asseoir et poursuis ma visite. Une photo en noir et blanc montre le temple avant sa rénovation et un grand tableau très coloré dépeint la vie quotidienne autour du temple autrefois. A quelques pas de là, un escalier descend au sous-sol, ou plus exactement, juste en dessous de l’autel. Le couloir, une longue ligne droite, n’est pas éclairé. J’avance à tâtons en me penchant sur le mur sur ma droite. Au bout d’une dizaine de mètres celui-ci part en angle droit sur la droite. Je fais trois pas et regarde derrière moi. Je suis dans l’obscurité la plus complète, pas un rayon de lumière ne traverse le couloir. Je ne me souviens pas avoir été dans le noir aussi complet depuis bien longtemps, même la nuit d’une manière ou d’une autre il y a toujours une source de lumière, aussi faible soit-elle, quelque part. Seul, toujours, le silence est lui aussi total et oppressant. Cette sensation est des plus dérangeante, mais c’est sans doute le prix à payer si l’on veut, comme le dit la légende, sortir rené de cette expérience que l’on appelle le o-kaidan-meguri(お戒壇巡り). Si je me souviens à l’époque avoir effectué le même rituel au Zenkōji de Nagano avec mon beau-père, ma femme s’occupant pendant ce temps du petit qui n’avait alors que deux ans, il devait y avoir beaucoup de monde ce jour-là car le silence m’avait moins marqué que cette fois-ci. René, je ne sais pas, mais entre-temps le temps s’est éclairci et le soleil m’éblouit. Une belle balade dans les alentours s’annonce.
Courte balade en partant de la gare de Jingūmae (神宮前駅) toute proche du célèbre sanctuaire d’Atsuta, au sud de Nagoya. J’ai aujourd’hui pour objectif un gigantesque complexe d’appartements de type manshon(マ ン シ ョ ン) situé un kilomètre au sud de la gare. J’aurai très bien pu descendre à la gare de Toyoda Honmachi qui en est plus proche, mais j’ai envie de voir grossir peu à peu le bâtiment au fur et à mesure que je m’en approche. De la gare je marche comme d’habitude complètement au hasard. Cela doit faire quelques années que je ne suis pas venu dans les parages mais je me souviens très précisément de plusieurs photos prises à tel ou tel endroit. Finalement je suis comme inconsciemment guidé par mes souvenirs, je me surprends à vouloir prendre le même trajet que lors de ma balade précédente afin de voir en quelle mesure le paysage a changé, sans me rendre compte que cela n’empêche de faire de nouvelles découvertes en passant par des rues encore inexplorées. Pourquoi ressens-je fréquemment le besoin de revenir en des lieux qui me sont connus ? Pourquoi tiens-je autant à vouloir immortaliser le changement autour de moi, est-ce à force de tout noter dans mes carnets et sur mon blog que m’est venue cette obsession, ou bien est-ce l’inverse, me sens-je obligé de tout noter afin de ressentir ce changement ? Et pourquoi cela me semble-t-il si important ?
Tandis que je nage dans mes réflexions j’arrive à destination mais mes pensées ont comme consumé l’intégralité de mon énergie et je m’aperçois également que j’ai oublié de prendre une vue d’ensemble du bâtiment. Maintenant que je suis là – au pied du mur ai-je envie de dire, autant en prendre en gros plan cette fascinante façade nord qui fait quinze étages de haut, et dont les fenêtres et les poutres de béton qui renferment les cages d’escaliers et les ascenseurs semblent verticalement et horizontalement se répéter à l’infini me captivent. Je me sens obligé de laisser dans le cadre la numérotation des blocs pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un copier-collé. Un peu comme Daisuke Tajima et ses fresques gigantesques il me plairait de trafiquer les images de sorte qu’elles se recoupent parfaitement et de les faire imprimer sur du papier de qualité supérieure afin d’en faire un poster qui recouvre l’intégralité d’un mur.
Une nouvelle fois pour affaires à Tōkyō. L’un des rares avantages de mon changement de poste est qu’il m’amène à voyager plus souvent. Je me lève avant que le réveil ne sonne et quitte la maison en avance, j’arrive ainsi par un heureux concours de circonstances à la gare de Tōkyō une heure plus tôt que prévu. De là je suis supposé prendre le métro mais me perds dans la gare et me retrouve devant la sortie Marunouchi. Une rapide recherche sur mon smartphone du meilleur itinéraire jusqu’au lieu de rendez-vous près de la gare de Kōjimachi (麹町) m’apprend qu’il faut vingt minutes en métro et cinquante minutes à pieds, je me dis que si c’est pour me perdre à nouveau dans les dédales de la gare autant y aller en marchant. Selon l’application cela me fait arriver cinq minutes en retard mais il ne fait aucun doute qu’en marchant d’un bon pas j’arrive à l’heure. Il n’y a pas une minute à perdre, je me dirige donc d’un pas décidé en direction du palais impérial. La ‘balade’ autour du palais est très agréable par ce beau temps printanier et je me demande pourquoi je n’ai jamais eu l’idée de m’y rendre auparavant. Si j’ai souvent entendu que les cinq kilomètres que font le tour du palais étaient très populaire en tant que parcours auprès des adeptes de course à pieds, je suis très étonné par la proportion d’étrangers, non asiatiques notamment, qui s’adonnent parmi ceux-ci à leur footing matinal. Je les comprends tout à fait, l’un de mes premiers réflexes quand je me suis élancé pour ce parcours improvisé a été d’enclencher ma montre GPS pour garder une trace de cette balade. J’arrive au rendez-vous avec cinq minutes d’avance sur les autres avant tout le monde avec quelques gouttes de sueurs perlant sur mon front certes, mais maintenant complètement réveillé.
La suite de notre agenda nous mène à Omotesandō puis Harajuku. Je prends rapidement quelques photos par-ci par-là d’immeubles vus de nombreuses fois dans les pages du blog made in Tokyo, en expliquant à mes collègues que je suis amateur d’architecture, mais également que je tiens un blog et qu’il me faut donc de quoi alimenter mes pages. Comme souvent l’intérêt que ceux-ci porteront à mon blog n’est guère plus que poli, mais c’est comme ça. Notre tournée se termine enfin vers 16h autour de Ginza. J’en profite d’être dans le coin pour aller jeter un oeil au Ginza Sony Park, qui n’était pas encore ouvert au public quand j’y étais venu la dernière fois. L’endroit est très animé, au premier étage une chaîne de télévision est en pleine interview, quelques étages plus haut je remarque une file d’attente alignée en face d’un poster du groupe Hitsujibungaku (羊文学). Je pense tout d’abord qu’il s’agit d’un concert et jubile à l’éventuelle idée de pouvoir y assister, mais malheureusement il s’agissait d’une exposition à laquelle on ne peut participer que sur réservation. Je me repose un peu à la terrasse située au dernier étage en réfléchissant à quoi faire ensuite, marche encore jusqu’à la gigantesque librairie Maruzen Marunouchi. J’y entre à chaque fois avec la ferme intention d’y acheter quelque bouquin en langue originale de Paul Auster, pratiquement toutes les oeuvres y étant regroupées, mais suis à chaque fois rebuté par les prix exorbitants, et j’en sors une nouvelle fois bredouille. Après avoir longuement erré parmi les dédales de la gare de Tōkyō je trouve enfin le Traveler’s Factory Shop Tokyo, le flagship store de la marque de carnets de note Traveler’s Company dont j’utilise les carnets depuis maintenant plus de dix ans pour rédiger mon journal. L’endroit grouille de monde, l’engouement des clients pour la marque et tout ce qui est en rapport avec l’écriture fait plaisir à voir.
J’entame cette nouvelle année 2025 avec quelques photos prises entre octobre et décembre du fascinant Mode Gakuen (HAL) Spiral Towers, tout près de la gare de Nagoya. Selon le temps qu’il fait et la position du soleil dans le ciel les panneaux triangulaires reflètent la lumière d’une manière différente. Une fois que l’on se sera éventuellement lassé de cet angle il suffira de se déplacer d’une dizaine de mètres dans n’importe quelle direction pour que le jeu de lumière change à nouveau. C’est un assez bel exemple de ce qu’est la vie en fin de compte. La roue tourne, et quand elle s’arrête sur la mauvaise case, que les choses ne vont pas comme elles le devraient, c’est à nous de nous déplacer afin de changer de perspective, de voir les choses sous un nouvel angle.
Entre mon changement de service au travail en avril et l’enfer de la préparation aux concours d’entrée au collège et au lycée des enfants (qui, quel que soit le résultat, semble enfin devoir prendre fin d’ici une dizaine de jours ) l’année 2024 est passée en un éclair. Malgré une manque flagrant de temps et de liberté par rapport aux années précédentes c’est à se demander comment je suis parvenu malgré tout à publier 39 billets, prendre une multitude de photos (dont une grande partie n’a pas encore publiée), gravir le Mont Fuji en juillet et finir le marathon de Matsusaka en décembre. Avec le recul je me dis que la rédaction du blog, les nombreuses balades appareil à la main et autres recherches sur des sujets divers que celle-ci implique ont été une échappatoire par rapport au tracas du quotidien. Le blog a tellement été une manière de m’évader cette année que même les habituels questionnements à propos de l’intérêt et/ou la nécessité d’en poursuivre la rédaction dont je suis généralement assailli pendant l’été ne m’ont même pas effleurés.
Un peu comme chaque année je ne suis pas parvenu à mettre à exécution de manière satisfaisante les nombreux projets que j’ai en tête, mais j’y travaille tout doucement. Ainsi, les lecteurs les plus attentifs auront peut-être remarqué l’apparition du menu ‘Contact/Lettres’ dans l’en-tête du site. Ce n’est encore qu’une ébauche mais je pense à l’avenir donner la possibilité de correspondre par courrier aux lecteurs intéressés par de tels échanges. Avant cela il me faudra dans un premier temps terminer le récit de l’ascension du Mont Fuji, qui m’a valu de nombreuses visites. Il y a une demande évidente pour une documentation précise sur le sujet mais cette manière de blogger façon ‘guide du routard‘ ne m’intéresse pas particulièrement car trop codée, trop carrée. Si jamais c’était à faire ce serait probablement plutôt en format vidéo, mais cette envie me vient sans doute de l’habitude de regarder les aventures de mes trailers favoris sur Youtube. Cela dit l’ascension du Mont Fuji a vraiment été une grande découverte et je me suis en tête, dans la mesure du possible, de le gravir dorénavant chaque année. Un peu dans le même ordre l’idée, en avoir terminé avec la course à pied pour cette saison va enfin me permettre de me focaliser sur le tracé du Tōkai Nature Trail (東海自然歩道) en Aichi, que j’ai l’intention de parcourir dans son intégralité cette année. Là encore je ne suis pas certain de la meilleure manière de documenter le tout mais je commence tout doucement à comprendre qu’au lieu de longuement hésiter pour finalement ne pas franchir le premier pas, il est encore préférable de me lancer quitte à rectifier le tir en route.
En fait cette année j’ai surtout – et ce quel que soit le résultat aux yeux des lecteurs – pris plus de plaisir à photographier qu’à écrire, et à priori la tendance devrait se poursuivre en 2025. Là encore, je m’organise peu à peu, notamment en établissant une liste des bâtiments et lieux que je souhaiterais visiter afin de ne pas perdre trop de temps à me décider où aller quand enfin j’en ai le temps. Je réfléchis également à l’élaboration d’une carte qui montrerait les lieux visités dont j’ai parlé sur le blog. Le tout devrait m’occuper pendant une, deux, cinq ou même dix années, au rythme où vont les choses …