Bref halte aux abords de l’aéroport, plus précisément à Tokoname Rinkū Beach, la plage qui fait face à l’île artificielle où celui-ci a été bâti. Il fait déjà plus de 30 degrés, une poignée de baigneurs téméraires ont la mer pour eux, tandis que sur la plage des gyaru (jeunes filles japonaises au look tape à l’oeil) parlent et crient à haute voix en gesticulant comme si elles étaient seules au monde. Cela fait longtemps que je n’étais plus venu ici, il faut dire que mon enthousiasme pour l’aviation s’est atténué depuis que Léo ne s’y intéresse plus trop lui non plus. Voir l’aéroport dans sa globalité sous cet angle a quelques chose de rafraichissant, de nouveau presque, ce qui à ce moment ravive la flemme, d’autant plus que j’ai eu la bonne idée d’amener avec moi mon récepteur ICOM, ce qui me permet d’écouter les communications entre la tour de contrôle et les pilotes et me donne la sensation d’être à la fois dans la tour et aux commandes de l’avion. J’ai soudain l’impression d’être doté de super pouvoirs, d’être en mesure de comprendre un language codé connu des initiés uniquement, de détecter les avions bien avant que mon oeil puisse les distinguer dans le ciel, ou encore, malgré la distance, de discerner les mouvements des avions sur le tarmac, comme si j’étais en mesure de voir à travers les bâtiments.
Après le violent tremblement de terre du 1er janvier dans le region Hokuriku, dont nous n’aurons ressenti qu’une secousse certes interminable mais de moindre amplitude, le 2 janvier en début de soirée un Airbus 350 de la compagnie aérienne Japan Airlines percute un petit Bombardier Dash-8 des garde-côtes japonais à l’aéroport Haneda de Tōkyō, tuant 5 des 6 membres de l’équipage de ce dernier. En congé ce jour-là, je reste incrédule devant la télé et Youtube, regardant pendant deux heures au moins en boucle les images de la collision, de l’explosion puis de la miraculeuse évacuation des 379 passagers de l’Airbus, puis celles, irréelles, du fuselage de cette si belle machine se consumant doucement par les flammes. J’essaye d’imaginer la situation si la chose était arrivée à l’aéroport de Nagoya alors que c’était déjà le chaos lorsque l’année dernière vers la même période un avion de la compagnie Jetstar avait dû atterrir d’urgence à Nagoya en raison d’une alerte à la bombe. Bien qu’au final il ne s’agissait que d’une fausse-alerte (seuls quelques blessés pendant l’évacuation de l’appareil sont à déplorer), l’incident a eu de larges répercussions sur l’organisation de l’aéroport au point qu’encore récemment nous ayons eu à passer des exercices de gestion de crise. Je regarde donc inquiet sur Flightradar les avions se voir détourner vers les différents aéroports du pays et écoute sur Liveatc les contrôleurs aériens de l’aéroport de Narita se dépatouiller avec le trafic supplémentaire qu’engendre l’accident. Je suis ébranlé par l’incident et ne dors pratiquement pas, la nouvelle année commence terriblement mal.
En fin de compte le jour même une petite dizaine de vols auront été détournés vers Nagoya et la situation aura été moins pénible que je ne le pensais. Il m’aura fallu tout de même une dizaine de jours pour digérer les informations autour de l’accident et du tremblement de terre, et c’est donc avec un peu de retard que je m’attarde sur le Sky Deck pour le hatsu-dori, les premières photos de l’année, avant de prendre le travail. Je profite du fait que pendant trois jours le ‘ANA Demon Slayer Jet 3‘ (鬼滅の刃 じぇっと ‐参‐ B777-200ER / JA745A) soit utilisé pendant quelques jours pour les séances d’apprentissage des pilotes pour ‘sortir de la spirale’. En fait j’avais eu l’occasion de voir ce bel appareil à Haneda juste après sa mise en service en novembre 2012 avant de partir pour le Luxembourg en janvier 2013. Pouvant transporter autour de 400 passagers il n’est en principe affecté qu’aux lignes principales reliant Tōkyō à Sapporo, Fukuoka ou encore Itami (Ōsaka), l’opportunité de le voir à Nagoya ne se présentera sans doute pas une seconde fois. Il a neigé quelques jours plus tôt de l’autre cote de la Baie d’Ise (伊勢湾), les sommets de la chaîne de montagnes de Suzuka (鈴鹿山脈) sont recouverts de neige, j’attends en espérant que l’avion passe juste entre l’épaisse couche de nuages et les montagnes. Par chance l’équipage semble parti pour une séance de ‘Touch & Go’, une répétition d’atterrissages et de décollages, j’ai donc plusieurs opportunités pour prendre une photo typique pour la saison. Si je parviens à caler l’appareil au centre, celui-ci est trop loin pour que l’on distingue clairement les motifs des personnages sur le fuselage. Cela dit, dans la flotte des 213 appareils de la compagnie ANA la queue de l’avion est blanche et non bleue sur seulement quatre d’entre-eux : les trois A380 et celui dont il est question dans ce billet. Comme dit l’autre, ‘les vrais savent‘ (rien à voir).
Les mois passent et les nouvelles sont plutôt bonnes pour l’aéroport et les fans d’aéronautique avec le retour de nombreuses compagnies aériennes, chinoises notamment. En terme de nombre de passagers et de mouvements nous sommes toujours très loin des chiffres pré-covid mais comme nous manquons de main d’oeuvre, pour être honnête, rien ne presse. Je ne manque donc pas de me balader avec plaisir sur le Sky Deck dés que j’en ai l’occasion, mais curieusement je ne parviens pas malgré tout à retrouver la même ferveur qu’autrefois, que ce soit en terme de soif de connaissance ou encore d’envie à passer de longues heures à attendre qu’un appareil en particulier fasse son apparition ou pour chercher de nouveaux lieux de photographie adéquats. Cela fait deux ou trois ans que j’hésite à m’acheter un nouvel appareil ou un téléobjectif de 300mm ou plus afin de relancer ma motivation, mais je ne parviens pas à me convaincre du bien-fondé d’un tel achat. A condition de se débrouiller avec les réglages, avec un 600mm en prenant 6 ou 8 photos par seconde en mitraillant tout ce qui bouge en mode rafale, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il y en ait une ou deux dans le tas qui soit exceptionnelles, mais je ne sais pas si c’est ce que je recherche. Un peu comme dans tout ce que je fais, il faudrait avant tout que je me concentre sur un seul sujet à la fois …
Quoiqu’il en soit, si dans la série ci-dessus le fait d’avoir deux Boeing 777F de DHL dont l’un dans sa livrée ‘As one against cancer’ dans le même cadre m’a fait trépigner de joie comme cela n’avait pas été le cas depuis un bon moment, c’est la dernière photo que j’ai eu le plus de plaisir à découvrir sur mon écran (car l’on croit souvent avoir pris une photo grandiose … et puis non !). J’ai toujours trouvé que les avions à hélices avaient un côté particulièrement photogénique, mais j’y aime surtout le dynamisme crée par l’avion qui décolle au loin, les bagagistes, agents d’avitaillement et agents de piste affairés autour du Bombardier Dash 8 et les passagers qui empruntent la passerelle pour monter à bord. La qualité de l’image est trop mauvaise pour que l’on s’en aperçoive mais les jeunes filles sortant du bus semblent prendre une photo, ou très probablement une vidéo de leur embarquement. Amusé j’ai passé une dizaine de minutes sur TikTok pour voir s’il me serait possible de retrouver leur trace afin de leur envoyer la photo, mais en vain. Tant mieux peut-être, il est de fortes chances que je passe pour un harceleur maniaque kimoi*.
Aussi bref que soit mon séjour au Luxembourg, je ne pouvais pas ne pas faire un tour à l’aéroport Luxembourg-Findel. A proximité de l’aéroport se trouve le siège de la compagnie aérienne exclusivement cargo Cargolux, et sur la piste de 4,002 mètres (soit 2 mètres de plus que celles de Narita ou Osaka !) les mouvements des Boeing 747 sont bien plus nombreux que ceux des avions de ligne. Il aurait été amusant d’y voir atterrir l’un des vols Cargolux hebdomadaires en provenance de Tokyo (Narita) ou Komatsu, dans la préfecture d’Ishikawa. Le miracle n’aura pas lieu, mais je repars tout de même avec en boîte le 737 MAX au marquage spécial pour les 60 ans de Luxair, la compagnie aérienne nationale.
J’ai quatre presque trop courtes heures de transfert jusqu’à mon vol qui me mènera à Francfort. Il me faut changer de terminal mais le temps est trop splendide pour que je ne fasse pas un tour sur le pont d’observation du Terminal 2, où ont lieu les opérations des vols de la compagnie nationale ANA. En une heure à peine je parviens ainsi à capturer le C-3PO ANA Jet (B777-200), le ANA Green Jet (B787-8) et son inhabituelle bande verte, ainsi que le 鬼滅の刃じぇっと壱 (Kimetsu no Yaiba Jet 1, 767-300ER), trois appareils qui en principe n’atterrissent pas à Nagoya.
En raison des conflits en Ukraine les compagnies ne peuvent plus survoler la Russie. N’ayant plus accès à la Sibérie, la route reliant Tokyo à Francfort passe maintenant par l’Alaska et le Groenland pour une durée de vol de plus de 14 heures. Une fois monté à bord du spacieux B747 de Lufthansa j’ai beau avoir mangé et regardé deux films (Bullet Train et Incroyable mais vrai ), il reste encore dix heures de trajet ! La nuit est entre-temps tombée, je rêvasse et somnole sans pouvoir affirmer avec certitude avoir dormi.
Je savais le dessin et l’animation du film d’animation 竜とそばかすの姫 (Belle, en français) superbe pour en avoir vu une partie à travers le clip video de la chanson d’introduction du film, U de Millenium Parade. J’ai lancé le film ‘pour voir’, et j’ai été très ému par son histoire, la réalisation mais surtout sa musique, notamment la scène où est chantée la chanson はなればなれの君へ (A million miles away) et ce très beau plan large de la foule virtuelle, représentée par d’innombrables lumières dorées qui se mettent à briller au fur et à mesure que son chant de soutien à l’héroïne se fait plus intense. J’ai trouvé que la séquence représentait de manière très émouvante manière la force que peut avoir la musique. On me fait parfois remarquer que je prends la musique trop au sérieux mais c’est sans savoir à quel point elle m’a soulagé de par le passé, m’assiste aujourd’hui au quotidien et m’aidera probablement encore durant toute ma vie. J’ai regardé la scène plusieurs fois de suite jusqu’à ce que nous atterrissions et la chanson, interprétée par l’auteure-compositrice-interprète et doubleuse Kaho Nakamura (中村佳穂) m’est restée en tête pendant toute la durée du séjour. Même un mois plus tard je ne me lasse pas de l’écouter encore et encore, je pense que ce sera probablement encore longtemps une sorte d’hymne de ce voyage.
Pour le réveillon du Nouvel An j’étais du soir. Je n’ai donc pas pu regarder le Kōhaku Uta Gassen en famille, mais au vu de la liste d’artistes je n’ai pas l’impression d’avoir raté grand chose. Léo rouspète déjà du haut de ses 13 ans qu’il en a marre de voir à chaque fois l’émission se terminer sur les chansons de Masaharu Fukuyama, MISIA ou encore Keisuke Kuwata. Cela en dit long sur le côté rébarbatif de cette cérémonie …
En guise de première sortie en famille de l’année nous pensions tout d’abord aller comme les années précédentes voir un match de basket d’une des trois équipes locales, mais en pleine septième (!) vague de Covid nous préférons nous balader à l’air libre. Sur la route je laisse tranquillement se dérouler dans la voiture l’album Walls (2007) d’Apparat . Pour ces premiers sons de 2023 il me fallait une valeur sûre, quelques chose de neutre dans le sens de non agressif sans pour autant tomber dans le easy listening, un album qui s’écoute d’une traite avec de belles nappes de synthés et de basses qui vous enveloppent et vous font vibrer. J’avais eu quelques difficultés avec ses deux albums suivants The Devil’s Walk (2011) et surtout Krieg und Frieden (2013), mais Walls n’a malgré les années rien perdu de sa superbe. En deuxième moitié d’album, les joyaux que sont Arcadia et You don’t know défilent. Pantois, les enfants cessent d’aboyer, la caravane poursuit son chemin.
初撮り, Hatsu-dori, premières photos de l’année. Nous nous sommes retrouvés un peu par hasard au sud de la péninsule de Chita, près du phare de Noma. Le vent en bord de mer, frais mais revigorant fait un bien fou. Au loin deux planchistes se font plaisir dans l’eau qui pourtant semble glaciale. L’un d’eux semble comme flotter à quelques centimètres au dessus de l’eau et sa voile, de petite taille, n’est pas fixe, de sorte qu’il peut la manœuvrer librement pour mieux attraper le vent. Je découvre, en rentrant, qu’il s’agit d’une nouvelle discipline dite Wing foil. Je suis de temps en temps interrompu dans mes rêveries par les avions qui passent tout près au-dessus de nous. Sous un angle bien précis la lumière du soleil se réfléchit de fort belle manière sur les spoilers déployés de l’aile gauche des appareils. A défaut d’avoir pu capturer cet instant de manière convaincante avec mon 200mm, je me félicite d’avoir été capable de remarquer la chose. C’est sans doute ce que voulait dire le photographe Pierre T.Lambert quand il explique qu’il ne faut pas nécessairement avoir une camera pour devenir un meilleur photographe. Je me promets malgré tout de m’acheter un nouveau 300mm d’ici le printemps …
Le temps de nous réchauffer un peu autour d’un café que le ciel est devenu très expressif. Les rayons de lumière qui jaillissent d’entre les nuages est irréelle, divine … indescriptible !
La première partie du voyage me mène à Tōkyō, à l’aéroport international de Haneda. Je n’ai pas pris l’avion depuis mon voyage à Tōkyō en février 2019. J’ai réservé mon siège au moment d’acheter le billet afin d’être sûr d’être installé à la fenêtre du côté gauche. Cette fois le ciel est miraculeusement dégagé, tout porte à croire qu’aujourd’hui le Mont Fuji voudra bien se livrer à moi. J’ai le nez collé au hublot pendant toute la durée du vol, tel un gamin qui prend l’avion pour la première fois, et le bruit du déclenchement de mon appareil retentit sans cesse. Après le décollage je contemple avec un ravissement certain ‘mon’ aéroport, reconnais le phare de Noma et l’île d’Himakajima, puis bientôt nous longeons déjà de tout leur long les interminables plages de la préfecture de Shizuoka. Lorsque quelques minutes plus tard je lève les yeux le Mont Fuji apparaît distinctement, majestueux, partiellement sous la neige comme on peut le voir sur les plus belles cartes postales. Tout au loin derrière lui on peut également apercevoir ce que je pense être, du fait qu’elle soit déjà enneigée, la chaîne de montagnes des Alpes japonaises.
Quel soulagement lorsque le temps se fait plus clément, que je peux enfin me rendre au travail sans avoir à enfiler bonnet, gants et cinq couches de vêtements. Aujourd’hui il fait presque 20 degrés, je suis dehors en T-shirt pour la première fois de l’année.
Les photos ci-dessus ont été prises il y a quelques jours lors d’une balade entre Osu 大須 et le Parc Tsuruma 鶴舞公園. J’écoute en marchant l’album ‘Help Ever Hurt Never’ de Fujii Kaze. La voix plutôt grave pour un chanteur masculin japonais donne une certaine chaleur suave aux chansons les plus lentes qui convient bien à la saison. Ce n’est pas un album que j’irai écouter en boucle mais il convient parfaitement à une écoute distraite, en conduisant par exemple. Cela dit j’aime particulièrement le titre Toku ni nai (特にない) et sa boucle d’accords de piano et le rythme low-fi qui claque qui me fait penser à des débuts de morceaux du regretté Nujabes. On pourrait croire la boucle samplée mais elle est vraisemblablement jouée pour de vrai, quoique filtrée. Dans l’ensemble l’album est agréable à écouter, mais je pense que ses talents au piano auraient pu être un peu plus mis en avant. Je me répète mais j’avais vraiment été impressionné par sa prestation au Kohaku l’année dernière et cette video sur YouTube où il enchaîne sur un synthé une cinquantaine de titres en tout genres qui lui passent par la tête, en pyjama, parfois affalé par terre, sans la moindre partition ni rien me laisse, pour rester poli, sur le derrière. J’aimerai tant que dans une avenir proche il délaisse cette pop agréable mais conventionnelle et se déchaîne, découvre les possibilités infinies qu’offrent ne serait-ce qu’un minuscule Micro KORG, se laisse aller et chante tout en maltraitant ses machines comme le font Jamie Lidell, Louis Cole ou encore Marc Rebillet. ( Il devrait d’ailleurs bien s’entendre avec ce dernier, qui fait régulièrement des streams live en peignoir de bain). Pour cela il faudrait qu’il cesse de jouer sur son côté beau-gosse et je ne suis pas certain que ses fans du moment suivent une voie davantage rivée vers l’électronique. A suivre donc …
Comme souvent je marche au hasard, sans véritable objectif. Le seul fait d’être au dehors sous le soleil est un plaisir en soi. Puisque je suis dans le coin je pense me rendre au magasin de vieux livres Daigakudo, mais une pancarte m’apprend qu’il a fermé ses portes il y a quelques mois. Cela m’attriste car on pouvait y trouver de nombreux ouvrages concernant l’histoire de l’aviation japonaise, j’y avais notamment trouvé le second volume de l’Encyclopédie de l’histoire de l’aviation japonaise sous l’ère Showa (日本航空史 昭和前期編・昭和戦後編) pour 3.000 malheureux yens alors que neuf celui-ci vaut 15.500Yens, et je comptais bien, au détour d’une promenade, comme aujourd’hui par exemple, y trouver le premier volume traitant de la période d’avant-guerre. Ce genre de trouvailles est toujours agréable, un peu comme croiser au coin d’une rue un ami de longue date que l’on n’avait pas vu depuis longtemps. Je me ressaisis, peut-être tomberais-je dessus au quartier des vieux livres à Jimbôchô, Tokyo, cela me ferait même une excellente excuse pour m’y rendre.
Je m’assois volontairement en plein soleil dans l’herbe du Parc Tsuruma. D’ici deux semaines l’endroit sera noir de monde durant la saison des hanami, selon que l’état d’urgence sera levé ou non d’ici la fin de la semaine. J’y lis les quinze dernières pages de l’ouvrage intitule ‘Niji no Tsubasa‘ d’Akira Yoshimura 「虹の翼」吉村 昭, pavé de plus de 500 pages retraçant la vie de Chuhachi Ninomiya (二宮忠八), pionnier de l’aviation japonaise vers la fin du XIXème siècle. Cela fait 6 mois que je le traîne avec moi, la méticulosité presque maladive de l’auteur et les digressions parfois qu’en lointain rapport avec le sujet principal en font un ouvrage plutôt indigeste, mais donnent une image précise de l’enthousiasme de Ninomiya pour les objets volants et des difficultés rencontrées lors de son parcours. Je suis à la fois soulagé d’en avoir fini et perplexe : Que lire ensuite ? Et pourquoi donc suis-je incapable de faire une pause ?
Mon premier contact avec les livres anciens remonte à quelques années. Je sors de l’ambassade du Luxembourg située à Ichigaya et décide comme souvent de me balader au hasard dans les rues de Tokyo. Au fur et à mesure que je marche je suis intrigué par le nombre croissant d’enseignes ‘shoten‘, c’est à dire librairie. Je venais de découvrir le quartier de Jimbocho, réputé pour ses librairies de livres d’occasion. J’étais entré dans deux-trois établissements et avais trouvé la première traduction en japonais de ‘la cantatrice chauve’ d’Ionesco. J’étais à l’époque encore taraudé par la question ‘l’humour peut-il être traduit ?’, et à la lecture de quelque pages j’étais convaincu que je tenais dans mes mains une bonne preuve que cela n’avait rien d’évident …
L’association des bouquinistes (traduction très approximative) regroupe les bouquinistes de Nagoya et de sa région et compte 93 librairies. La vague de froid passée le temps est splendide, j’organise vite-fait une promenade partant du Parc Tsurumai vers Osu. Depuis quelques mois je suis intéressé par l’histoire de l’aviation au Japon. Si le développement de l’aéronautique dans la période d’après-guerre est particulièrement intéressant, le fait que le pionnier de l’aviation japonaise, Chūhachi Ninomiya, ait élaboré dés 1891 et donc bien avant frères Wright son ‘modele d’avion de type oiseau‘ a été une révélation. J’ai emprunté le peu d’ouvrages que contiennent les bibliothèques alentours sur ces sujets mais leur contenu très dense fait que la lecture prend du temps. Peut-être les retrouverais-je regroupés chez les bouquinistes ?
Je commence mes investigations par Yamahoshi-shoten, tout près de la gare de Tsurumai. Quel bonheur de n’être entouré que de livres ! Les étagères dégoulinent d’ouvrages, il y en a tellement que certains sont stockes à même le sol. Si les sujets traités sont vastes il ne semble pas y avoir de classement cohérent, c’est à peine s’ils sont regroupés par thèmes. Le seul personnel présent est très affairé et fait comme si je n’étais pas là. L’homme, à peine plus âgé que moi, est bien plus jeune que ceux que l’on penserait trouver dans ce genre d’endroit mais il se déplace en marmonnant et je l’entends râler quand il fait avec grand bruit tomber une pile de livres. Je l’interromps pour lui demander s’il a en stock quelque chose qui pourrait m’intéresser, mais comme je m’y attendais et comme ce sera le cas pour la plupart des établissement suivants, la plupart les ouvrages ne traitent que de l’aviation japonaise en période de guerre. Il n’y en a que pour le fameux Zero-sen !
On entre dans Iijima shoten comme dans un moulin. Le vieil homme assis derrière son bureau m’a bien vu mais m’ignore complètement, l’endroit est tellement silencieux que je n’ose même pas le saluer. Même désordre, mais principalement des ouvrages littéraires qui me sont complètement inconnus. ‘Ah ! C’est monté à 24 %’ s’exclame l’homme soudainement. Sa femme lui répond au loin, je n’ai aucune idée d’où elle se trouve. Plus que sur les ouvrages alignés en vrac dans les étagères, mon intérêt se porte bientôt sur leur conversation à propos des chiffres de la bourse qui me donne un élément de réponse à une question que je me suis posé dés ma sortie de la première librairie : ‘Comment cette affaire peut-être elle rentable ?’
Parmi les trois librairies visitées autour du carrefour Kamimaezu tout près d’Osu, Kaiseido-shoten est la librairie la plus grand public. On ne m’a pas laissé prendre de photos à l’intérieur mais on y trouve de vieilles revues et des livres de sport, de musique et hobbies divers. J’ai fini par y trouver quelques ouvrages interessants mais comme je me rends à Osu assez régulièrement je me suis contenté d’un bouquin de 200 pages à propos de l’histoire du Koken-ki (Long range mono plane), cet avion fabriqué dans les années 1930 et détenteur du record du monde de distance parcourue (11.651km en circuit fermé) en 1938.
Bien que mon vol retour soit prévu en fin d’après-midi, j’arrive à Haneda aux alentours de 13h. Au Terminal 2, le Airport Grill & Bar est un restaurant réputé pour offrir une vue dégagée sur le tarmac et la piste C. La fois précédente, l’endroit était plein à craquer et avec mes collègues nous avions eu une table bien loin de la baie vitrée, mais aujourd’hui, seul et le rush de midi passé, j’obtiens sans difficultés ma place tant convoitée. Je suis sur mon petit nuage. Boire une bière fraîche tout en contemplant les incessants mouvements d’avions est un plaisir divin et le pavé de steak bien épais qui suit est succulent. Je me demande avec quels mots Inogashira Goro, le personnage principal de la série Kodoku no Gourmet (le gourmet solitaire, en français) décrirait la scène.
Rassasié, je me pose au Terminal 2 Observation Deck. La pluie torrentielle de la veille rend l’endroit encore plus appréciable en cette belle après-midi ensoleillée. Les appareils des compagnies ANA, Starflyer et AIRDO se déplacent en tous sens et j’essaie d’imaginer la peine qu’ont les contrôleurs aériens à les orchestrer en évitant tout froissement de tôle. Je m’amuse un temps à prendre le plus d’avion possible de la même compagnie dans le même cadre, parviens à prendre trois 777 aux couleurs d’ANA alors qu’à Nagoya on ne peut apercevoir ce type d’appareil que lors des sessions de Touch & Go.
Au nord, quoique à moitié dans la brume, on peut distinguer la Tokyo Sky Tree. Les avions passent devant lors de leur approche de la piste B (22), permettant de prendre stylées. Volants trop haut, trop bas ou bien trop petits pour être reconnaissables, il me faut plusieurs essais pour obtenir quelque chose de satisfaisant. En fin de compte, l’aéroport est si gigantesque que je n’ai pas la force de visiter le Terminal 1.