Bref passage à Nagoya Zokei University (NZU), pour le plaisir des yeux. J’aime l’architecture mais j’en parle extrêmement mal. Des formes, des motifs, des courbes peuvent m’être agréable sans que je ne sache concrètement expliquer pourquoi. Afin de devenir capable de mettre des mots sur ces sensations je m’étais il y a quelques années inscrit à un cours sur l’architecture sur la plateforme d’apprentissage en ligne edX, mais j’ai abandonné à mi-chemin. Je suis intéressé, mais pas passionné semble-t-il. L’inscription sur cette plateforme fondée par le MIT et l’université d’Harvard ne m’aura cependant pas été complètement inutile puisque de fil en aiguille elle m’aura permis d’acquérir les bases de la programmation en langage Python grâce aux cours du CS50 de HarvardX. Au lieu de peiner à trouver les mots justes, peut-être devrais-je de temps en temps juste me laisser aller et abandonner, en ne publiant que des photos.
Si je me souviens vaguement que la dernière fois que je me suis baladé à l’université de Nagoya l’allée principale était en travaux, j’ai été fort surpris de voir le résultat dans le dernier numéro du magazine d’architecture Shinkenchiku. Une balade s’impose malgré le temps maussade cette semaine, en espérant qu’il ne pleuve pas – emoji mains qui prient.
Le bâtiment Common Nexus (東海国立大学機構 Common Nexus), surnommé ComoNe, situé sur le campus Higashiyama de l’Université de Nagoya, a été conçu par le cabinet d’architecture de Tetsuo Kobori (小堀哲夫). Il a pour mission de favoriser la co-création, l’échange intergénérationnel et interdisciplinaire en mettant à disposition des espaces ouverts à la communauté universitaire, aux chercheurs, aux artistes, ainsi qu’aux habitants locaux et aux enfants. Vue de face, on a l’impression à première vue que les infrastructures sont situées sous-terre, le plan de verdure incliné que l’on a devant soi formant le toit du bâtiment tout en faisant également office de terrasse. Je suppose que par beau temps on peut s’y balader librement mais aujourd’hui l’accès y est malheureusement interdit, ce qui ne m’empêche pas d’emprunter les différentes passerelles, faisant dépasser ma tête ici et là, à chaque fois d’un nouvel endroit, comme un chien de prairie curieux.
La pluie se met à tomber, je me réfugié à l’intérieur. Grace aux façades en verre l’endroit est particulièrement lumineux malgré le temps au dehors. Il n’y a pas un bruit, au point que je me demande si j’ai vraiment le droit d’être là, mais les employés ne semblent pas vouloir me chasser quand je les croise. Partout, des étudiants seuls ou en groupes, sur leurs tablettes ou leurs ordinateurs sont en train de recréer le monde de demain. L’atmosphère du lieu incite à la réflexion et aux études, et je ne peux m’empêcher de regretter de ne pas avoir poursuivi les miennes un peu plus loin, peut-être jusqu’à la recherche, en sociologie japonaise ou en linguistique. J’ai bien conscience que j’en ai une vision romancée de la profession, celle du type entouré de piles de livres, absorbé dans ses lectures, écrivant sur ce qu’il aime. Il m’arrive de me demander si ce blog n’est pas d’une certaine manière ma façon de vivre cette ‘vocation’ manquée. Mais vu le chaos qui règne dans ces pages, je peine à croire que je serai allé bien loin.
Comme les années précédentes je recherche un peu d’ombre et de fraîcheur dans le grand parc qui entoure le sanctuaire Atsuta Jingū, au sud de Nagoya. Bien que nous soyons en semaine l’endroit est anormalement animé, des groupes de vingt à trente touristes aussi bien japonais qu’étrangers déambulant dans les allées, s’amassent autour de l’autel principal pour prier puis se succèdent pour prendre des photos de groupe, le photographe à chaque fois obligé de reprendre plusieurs fois la photo parce qu’un distrait ne regardait pas l’appareil ou avait les yeux fermés. J’étais venu pour trouver un peu de tranquillité et de sérénité dans un lieu sacré mais le brouhaha provoqué par tout ce monde qui parle en même temps, les bruit de pas dans le gravier et la poussière qu’ils lèvent, le mouvement incessant de la foule m’épuisent plus que nécessaire. Si la chaleur accablante doit y être pour beaucoup dans mon manque d’enthousiasme, le contraste flagrant avec ma promenade au Zenkōji le mois dernier dont j’étais revenu apaisé et empli d’un sentiment d’épanouissement, me laisse songeur.
Paradoxalement, je fuis donc le sanctuaire pour m’engouffrer dans les rues alentours mais j’ai vite fait de regretter ma décision. Le soleil est à son zénith, la lumière est blanche et éblouissante, écrasante et les ombres pratiquement inexistantes comme si je traversais quelque désert aride. Oasis sensorielle, il me semble que la simple vue d’une plante ou du moindre petit espace de verdure fait baisser ma température corporelle de quelques degrés. Je suis à l’affût, capture en photo pots de fleurs, maisons recouvertes de lierre et autres plantes qui se hissent au-dessus des murets. Les années passent mais ce thème m’obsède toujours autant …
Avec les fortes chaleurs de ses dernières semaines il devient difficile de sortir se balader. A 8h du matin il fait déjà presque 30 degrés et ce n’est qu’en ralentissant le rythme de course que je parviens encore à courir autour de 10km sans m’évanouir. J’entame donc le stock de photos prises ces trois derniers mois avec une série de huit photos proposant quatre thèmes que l’on s’amusera (ou pas) à y chercher. Il n’y a pas forcement de réponse correcte, on interprète les photos comme on le veut, c’est cela qui est amusant.
Si une expression japonaise dit ‘l’automne, saison de la lecture’, (読書の秋), assommé par la chaleur, ébloui par la lumière, à défaut de pouvoir faire autre chose c’est pour moi l’été que je lis le plus. Après avoir donc en guise d’amuse-bouche relu comme chaque année ‘La trilogie new yorkaise’ de Paul Auster dans une édition ‘Livre de Poche’ datant de 1997 que je garde précieusement, je viens de terminer de lire en japonais Shippū Rondo (疾風ロンド, 2013) de l’auteur de romans policiers Keigo Higashino (東野 圭吾). S’il se lit très facilement je n’ai pas été particulièrement convaincu par cette histoire (Un employé mécontent d’une université vole une arme biologique appelée ‘K-55’ et menace de la déployer à moins qu’une rançon ne soit payée, mais meurt dans un accident de voiture sans que personne ne sache où l’arme a été cachée …) qui de par ses rebondissements invraisemblables m’a fait penser à un mauvais film hollywoodien. Justement, celui-ci semble avoir été adapté en film en 2016 avec Hiroshi Abe en tête d’affiche et cela n’a pas l’air d’être fantastique. Rien d’étonnant donc à ce que l’on ne trouve pas sa traduction parmi les nombreuses oeuvres disponibles en français chez Actes Sud. Dans ma pile de livres, à lire au frais en sirotant un café glacé j’ai deux oeuvres de Yōko Ogawa (小川洋子)(Petites boites et Jeune fille à l’ouvrage), Pays de neige, le chef-d’oeuvre de Yasunari Kawabata qui a surgi de nulle part après un peu de rangement, 4321 de Paul Auster, que j’ai fini par me payer en version originale, Dune de Franck Herbert, en français, acheté lors de mon retour au pays en janvier et que je n’ai pas relu depuis vingt ans, et pour finir un roman japonais acheté vite-fait l’autre jour, mystérieusement intitulé ‘Labyrinth of Hortensia and the Minotaur‘ (一次元の挿し木) de Ryūnosuke Matsushita (松下 龍之介).
En été je préfère également la radio ou les podcasts à la télé. C’est avec un ravissement certain que je retrouve le journaliste et écrivain Richard Gaitet dans son émission Bookmakers sur ARTE Radio. J’avais longtemps écouté son émission littéraire Nova Book Box lorsqu’il était sur Radio Nova, et Le prix de la page 111, ‘le plus absurde des prix littéraires‘, qui récompense chaque année la meilleure page 111 d’un roman de la rentrée littéraire et que Gaitet anime avec un enthousiasme contagieux, m’a définitivement convaincu que la littérature et son analyse peuvent être autre chose qu’une épreuve de commentaire composé. Au lieu de survoles les textes je me suis mis à lire plus attentivement, en prenant mon temps. On apprécie un texte ou pas, on s’arrête, on tente d’expliquer pourquoi. Un peu comme les pubs à la télé … Je suis en train d’écouter un à un les cent et quelques épisodes de Bookmakers, hier j’ai religieusement dégusté celui avec Daniel Pennac, dont je me souviens avoir lu adolescent l’intégralité de la Saga Malaussène avec un immense plaisir. Si j’aime beaucoup cette émission dans laquelle on découvre le cheminement qui amène à l’écriture, la voix de Pennac a quelque chose d’apaisant et ses mots font mouche, il parle comme il écrit, c’est sublime.
Je suis conscient que ce billet n’a pas grand chose à voir avec le Japon. Je cherche des émissions du même style, en japonais, à propos d’auteurs japonais, mais ne tombe que sur des formats carrés ou trop courts, des échanges soporifiques sans passion, comme si la littérature devait nécessairement être quelque chose d’ennuyeux.
Une à une je tente de rayer de ma liste les choses à faire, à voir ou à visiter. Alors que je suis passé en train des dizaines de fois devant, cela faisait ainsi bien longtemps que je voulais photographier les gigantesques entrepôts appartenant à l’entreprise de logistique Chūkyo Sо̄ko Logistics Company (中京倉庫), à environ dix minutes à pied de la gare de Jingūmae (神宮前). Si les entrepôts exercent sur moi une certaine fascination depuis que je sais qu’ils peuvent contenir un avion comme c’est le cas au Flight of Dreams à l’aéroport international de Chūbu Centrair, plus que l’intérieur à propos duquel on ne peut de toute manière que faire des spéculations, je suis ici davantage intrigué par les escaliers en extérieur qui longent leurs parois. Leur disposition non symétrique, presque aléatoire, me donne l’impression de voir se révéler le derrière de la scène d’un niveau de jeu de plate-formes où le personnage disparaît derrière une porte pour soudainement réapparaître à un endroit complètement différent du paysage afin de surprendre son adversaire. Le bâtiment doit bien faire plus d’une trentaine de mètres de haut, même si je n’ai pas particulièrement peur des hauteurs et du vide je ne pense pas être en mesure d’emprunter ces raccourcis en courant tel un super-héros.
Une série de photos prises à Sakae, Nagoya, il y a plus ou moins deux semaines de cela, autour de l’Oasis 21 et de la MIRAI Tower, la tour de Nagoya. J’essaie de voir les choses, des situations ou des formes dont on ne se rendrait pas compte si l’on ne prends pas le temps de s’arrêter et de regarder autour de soi. Photographier me force à prendre mon temps et à ralentir, même si j’avoue perdre encore trop rapidement patience et n’arrive pas à attendre que se produise ce quelque chose qui rendrait mes photos plus intéressantes. J’apprécie cependant ce dialogue avec moi-même à propos des raisons qui me poussent à prendre telle ou telle photo, m’amuse de mes joies et de mes déceptions lorsque je les découvre le soir sur l’écran de mon ordinateur. Ces derniers temps je suis extrêmement intrigué par le fait qu’alors que je suis généralement exigeant et intransigeant envers moi-même au travail au point que cela me paralyse et que j’en perde mes moyens, dans tout ce qui à trait à mes loisirs je suis plutôt bienveillant et indulgent et cherche sans cesse à progresser petit à petit.
Je me plaignais ce jour-là du temps gris et couvert mais c’était alors de loin encore bien moins pénible que les températures hallucinantes, les 36 degrés à Nagoya depuis trois jours que nous subissons alors que nous ne sommes encore qu’à la mi-juin. Il me semble difficile dans ces conditions d’aller marcher pendant des heures en pleine ville et encore moins d’aller courir à moins de me lever très tôt le matin. Voilà donc qui marque début de la période d’entraînement croisé avec la natation. Je me demande bien quelles températures nous allons atteindre cet été …
Je fais un rapide passage à la terrasse située au septième étage du Chūnichi Building. Les travaux de réaménagement du quartier de Sakae vont bon train, le logo du Conrad, luxueux hôtel de la gamme Hilton qui devra ouvrir ses portes en été 2026, a fait son apparition en haut de ce bâtiment qui fera 211 mètres de haut. De nombreux ouvriers sont affairés autour des divers immeubles et aux manettes des grues, s’il m’arrive d’imaginer la vue extraordinaire qu’ils doivent avoir de là-haut, je ne suis pas sur de vouloir être à leur place.
Le quartier de Hoshigaoka se signale également par son luxe. La chaine de grands magasins Mitsukoshi se trouve juste à la sortie du métro et un nouveau complexe de boutiques et de restaurants, appelé Hoshigaoka Terrace, y a été ouvert en 2003. De l’avenue principale jusqu’aux arrière-boutique, tout est méticuleusement propre et rangé au point que c’en est presque ennuyant. C’est également ici que je tombe par hasard sur un magasin vendant des Porsche d’occasion puis le fameux concessionnaire Lexus réputé pour être celui vendant le plus grand nombre de véhicules de la marque de tout le pays, grâce notamment à un service clients que l’on dit exceptionnel. La petite histoire selon laquelle le garde à l’entrée du magasin, habillé comme un portier d’hôtel, fait en forme de respect et de remerciement une courbette à chaque fois qu’une Lexus passe devant est maintenant célèbre à force d’avoir été repris dans les médias et de nombreux livres. Apparement l’endroit aurait servi de modèle pour une scène apparaissant dans le livre de Haruki Murakami ‘L’Incolore Tsukuru Tazaki’, qui se déroule en partie à Nagoya, mais je ne parviens pas à me souvenir de cette scène en particulier. A force de lire ses livres depuis vingt ans en français et en japonais toutes ses histoires se chamboulent.
La dernière photo pourra sembler banale mais j’ai eu comme une révélation en passant devant cet immeuble. Si la gare de Fujigaoka sert de terminus pour une partie des bus municipaux de Nagoya, on pourra s’étonner que le rez-de-chaussée d’un logement social serve d’entrepôt de bus. Ce modèle d’optimisation de l’espace m’a immédiatement fait penser à l’exemple nommé ‘bus housing’ dans le bouquin Made in Tokyo (2001, Kajima Institute Publishing) qui répertorie les étonnantes cohabitations architecturales dans la capitale. ‘There is a ‘void phobia’ in Tokyo, which instils a reaction of ‘what a waste!’ when we see unused space. Everywhere, the desire to find and fill gaps can be seen.‘ J’imagine l’odeur des gaz d’échappement et surtout le vacarme que font les bus aux départs et aux arrivées. Un rêve, un cauchemar plutôt !
L’origine du nom du quartier ‘Hoshigaoka‘ (星が丘), quartier situé dans le quartier de Chikusa au nord-est de Nagoya, remonterait à 1955. Lorsqu’il entama la construction d’un complexe d’habitation (団地), la Japan Housing Corporation‘, (devenue depuis l’Urban Renaissance Agency (UR) UR都市機構), organisme fondé afin de résoudre la pénurie d’habitations dans l’après-guerre, lui aurait attribué ce nom parce qu’il s’agissait de l’endroit le plus élevé parmi les complexes résidentiels de la ville de Nagoya. Hoshigaoka aurait pour signification ‘la colline la plus proche des étoiles, où brillent de magnifiques étoiles’ 「星にもっとも近く、輝く星の美しい丘」. Si le slogan peut aujourd’hui paraître exagéré ou démodé il ne faut pas oublier que le pays est alors en pleine reconstruction, les gens veulent du rêve !
Vu le temps couvert ce n’est pas aujourd’hui que l’on verra les étoiles. Tout en marchant le long de la bruyante artère principale qui traverse le quartier j’écoute depuis tout à l’heure ‘2 Tired‘, le dernier single du Dj et producteur canadien dj_2button, sorti récemment. Une fois habitué à cette dérangeante voix distordue pitchée et strechée, la régularité du rythme de base tout au long de ce morceau de plus de sept minutes résonne en moi comme une force incontrôlable qui me force à marcher au pas, dans mon élan je dois presque me faire violence pour m’arrêter et prendre mes photos. Le quartier est vallonné et couvert d’une verdure abondante où que l’on soit. Le zoo de Higashiyama est tout proche, la pointe de la tour d’observation Higashiyama Sky Tower apparait de temps en temps derrière d’énormes rangées de buissons et d’arbres. Même le lycée technique Aichi Prefectural Aichi High School of Technology and Engineering, ouvert en 2016, associe de manière très naturelle béton et végétal. Je me fais la remarque que les ruelles et leurs escaliers en pente raide ont quelque chose de typiquement japonais. Je m’y engouffre et coupe le son pour trouver le calme des quartiers résidentiels.
Le temple Zenkō-ji Betsu-in Gannō-ji (善光寺別院願王寺), succursale (別院) du temple Zenkōji de Nagano, fut fondé il y a environ 1,200 ans, en l’an 829, sur les rives sud du fleuve Shōnai, au nord-ouest de l’actuelle ville de Nagoya. Selon la tradition du temple, cette année-là une épidémie dévastatrice frappa la région, provoquant la mort de nombreuses personnes. Il est dit qu’un éminent moine se rendit sur le site où se trouve aujourd’hui le temple, y installa une statue du Bouddha Yakushi (le Bouddha de la médecine) et y pratiqua un rituel secret destiné à éliminer les épidémies, apportant ainsi ses soins aux malades. Ce lieu devint ainsi un centre de prières pour la guérison et la protection contre les épidémies.
Le temple doit son nom actuel à la venue, en 1909, d’un moine nommé Fukurai, qui fit venir la statue du Bouddha Zenkōji depuis le célèbre temple Zenkoji, dans la région de Shinshū (Nagano). Avec le temps, le bâtiment se détériora sous l’effet des intempéries mais en 1974 fut crée, grâce aux dons des fidèles, un nouveau pavillon, en forme de pentagone et entièrement vitré, conservant néanmoins les matériaux d’origine. La structure, audacieuse surtout pour l’époque, valut l’attribution d’un prix de la part de l’Architectural Institute of Japan (AIJ) (日本建築学会) à son auteur Yasutaka Yamasaki (山崎泰孝). Si cela faisait un petit moment que je voulais m’y rendre, c’est le fait d’avoir vu surgir dans l’appli Photos des photographies de notre séjour en famille autour du Mont Ontake et à Nagano, au Temple Zenkoji justement, en juin 2011, qui m’a rappelé à l’ordre.
Vu de l’extérieur c’est comme si l’on avait construit un temple autour du temple, mais une fois à l’intérieur, le fait d’avoir grimpé les quelques marches jusqu’au pavillon, de m’être déchaussé puis d’y être entré par une petite porte coulissante me donne plutôt l’impression d’être rentré chez moi, sensation accentuée par le fait que j’ai le bâtiment pour moi seul et la présence, à gauche de l’autel principal, d’une table longue en bois entourée d’une dizaine de chaises et d’une étagère faisant office de bibliothèque. Sauf mon respect, il ne manquerait plus qu’une cafetière et quelques gâteaux pour que j’y passe toute la journée à bouquiner, écrire ou rédiger mon blog. Cette sensation, pour un lieu sacré, m’est nouvelle et agréable, je me demande si ce n’est pas dû au fait que les temples Zenkōji ne soient affiliés à aucune des treize écoles principales du bouddhisme japonais et accepte tout le monde sans distinction.
Je n’ose cependant pas m’asseoir et poursuis ma visite. Une photo en noir et blanc montre le temple avant sa rénovation et un grand tableau très coloré dépeint la vie quotidienne autour du temple autrefois. A quelques pas de là, un escalier descend au sous-sol, ou plus exactement, juste en dessous de l’autel. Le couloir, une longue ligne droite, n’est pas éclairé. J’avance à tâtons en me penchant sur le mur sur ma droite. Au bout d’une dizaine de mètres celui-ci part en angle droit sur la droite. Je fais trois pas et regarde derrière moi. Je suis dans l’obscurité la plus complète, pas un rayon de lumière ne traverse le couloir. Je ne me souviens pas avoir été dans le noir aussi complet depuis bien longtemps, même la nuit d’une manière ou d’une autre il y a toujours une source de lumière, aussi faible soit-elle, quelque part. Seul, toujours, le silence est lui aussi total et oppressant. Cette sensation est des plus dérangeante, mais c’est sans doute le prix à payer si l’on veut, comme le dit la légende, sortir rené de cette expérience que l’on appelle le o-kaidan-meguri(お戒壇巡り). Si je me souviens à l’époque avoir effectué le même rituel au Zenkōji de Nagano avec mon beau-père, ma femme s’occupant pendant ce temps du petit qui n’avait alors que deux ans, il devait y avoir beaucoup de monde ce jour-là car le silence m’avait moins marqué que cette fois-ci. René, je ne sais pas, mais entre-temps le temps s’est éclairci et le soleil m’éblouit. Une belle balade dans les alentours s’annonce.
Courte balade en partant de la gare de Jingūmae (神宮前駅) toute proche du célèbre sanctuaire d’Atsuta, au sud de Nagoya. J’ai aujourd’hui pour objectif un gigantesque complexe d’appartements de type manshon(マ ン シ ョ ン) situé un kilomètre au sud de la gare. J’aurai très bien pu descendre à la gare de Toyoda Honmachi qui en est plus proche, mais j’ai envie de voir grossir peu à peu le bâtiment au fur et à mesure que je m’en approche. De la gare je marche comme d’habitude complètement au hasard. Cela doit faire quelques années que je ne suis pas venu dans les parages mais je me souviens très précisément de plusieurs photos prises à tel ou tel endroit. Finalement je suis comme inconsciemment guidé par mes souvenirs, je me surprends à vouloir prendre le même trajet que lors de ma balade précédente afin de voir en quelle mesure le paysage a changé, sans me rendre compte que cela n’empêche de faire de nouvelles découvertes en passant par des rues encore inexplorées. Pourquoi ressens-je fréquemment le besoin de revenir en des lieux qui me sont connus ? Pourquoi tiens-je autant à vouloir immortaliser le changement autour de moi, est-ce à force de tout noter dans mes carnets et sur mon blog que m’est venue cette obsession, ou bien est-ce l’inverse, me sens-je obligé de tout noter afin de ressentir ce changement ? Et pourquoi cela me semble-t-il si important ?
Tandis que je nage dans mes réflexions j’arrive à destination mais mes pensées ont comme consumé l’intégralité de mon énergie et je m’aperçois également que j’ai oublié de prendre une vue d’ensemble du bâtiment. Maintenant que je suis là – au pied du mur ai-je envie de dire, autant en prendre en gros plan cette fascinante façade nord qui fait quinze étages de haut, et dont les fenêtres et les poutres de béton qui renferment les cages d’escaliers et les ascenseurs semblent verticalement et horizontalement se répéter à l’infini me captivent. Je me sens obligé de laisser dans le cadre la numérotation des blocs pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un copier-collé. Un peu comme Daisuke Tajima et ses fresques gigantesques il me plairait de trafiquer les images de sorte qu’elles se recoupent parfaitement et de les faire imprimer sur du papier de qualité supérieure afin d’en faire un poster qui recouvre l’intégralité d’un mur.