Louis est depuis quelques années déjà un féru d’histoire du Japon. S’il doit tenir cela en partie de son grand-père dont les étagères à la maison ont toujours été remplies de livres d’histoire toutes périodes confondues, c’est sans doute le fait de lui avoir offert le coffret de ‘L’histoire du Japon en manga’ qui a mis le feu aux poudres. Je ne sais combien de fois il a lu l’intégralité des 20 tomes mais il est capable en un claquement de doigts d’aller dénicher dans cette impressionnante masse d’information la page faisant référence à n’importe quel fait historique. Afin de joindre l’utile à l’agréable, comme nous l’avions fait pour tout ce qui touche à l’aéronautique avec Léo, nous soutenons Louis dans ses recherches. Son intérêt pour le célèbre seigneur féodal Oda Nobunaga nous a fait aller en mars à Kyо̄to au temple Honnō-ji (sous une pluie abondante qui explique l’absence de photos à montrer) où celui-ci a mis fin à sa vie, puis nous mène aujourd’hui au château de Kiyosu (清洲城), petite ville située au nord de Nagoya.
Le château a été construit entre 1394 et 1427, il appartient dans un premier temps à Shiba Yoshishige, chef du clan Shiba qui possédait alors une forte influence dans les provinces d’Echizen (la moitié nord de la préfecture de Fukui) et d’Owari (la moitié est de la préfecture d’Aichi). En 1555 Oda s’empare du château de Kiyosu, qui devient son lieu de résidence et l’endroit d’où il mènera ses assauts, notamment la bataille d’Okehazama (桶狭間の戦い) qu’il gagne contre Imagawa Yoshimoto, l’un des grands seigneurs de l’époque, en 1560, et qui fera figure de premier pas vers l’unification du Japon. En 1610, la capitale d’Owari est déplacée de Kiyosu à Nagoya sur l’ordre de Tokugawa Ieyasu. Alors que la ville compte à l’époque 60 000 habitants, pratiquement toute la ville disparaît dans ce qui est appelé le ‘déménagement de Kiyosu‘ (清洲越し), des parties du château de Nagoya étant même bâties avec des matériaux de construction provenant du château de Kiyosu. Le château actuel a été reconstruit en 1989. Comme il n’existe aucun plan du donjon d’origine son architecture se base sur celle du château d’Inuyama, dont l’architecture est dite comme étant représentative de l’époque. Aux différents étages du château on trouve des reconstitutions historiques des principaux événements relatifs au château et diverses armes et armures sont également exposées.
En prenant notre temps nous faisons le tour du château en une grosse heure puis nous baladons dans sa cour. Les puristes râleront que le château manque d’authenticité, mais son jardin joliment arrangé et surtout la vue digne d’une carte postale lorsqu’on y entre en traversant le pont rouge Otehashi (大手橋) valent le détour. Bientôt 20 ans que je suis dans la région et je découvre encore de nouvelles choses …
La nouvelle m’est tombée dessus alors que je n’y croyais plus … Après 13 années de bons et loyaux services ont m’a fait changer de poste au début du mois. Mes petites habitudes en sont bouleversées et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas couler sous la déferlante de nouvelles choses à apprendre et à maitriser, sans compter la transmission de savoir à la personne qui me remplace. Il m’aura fallu deux semaines pour enfin sortir la tête de sous l’eau et pleinement profiter pour la première fois d’un jour de congés. Pour célébrer la chose je me fais plaisir et m’empare au Maruzen de Sakae des deux stylo plume LAMY Safari édition limitée 2024 pink cliff & violet blackberry. Ma collection débutée en 2012 s’agrandit peu à peu chaque année au point que je ne sais plus à quelle année correspond quelle couleur mais c’est un plaisir de varier les couleurs des stylos selon les humeurs, d’autant que j’écris régulièrement dans mes carnets ces derniers temps.
Je marche ensuite au hasard en écoutant le récent album de Mount Kimbie, The Sunset Violent. Je jubile, dés les premières notes du premier titre le groupe semble avoir renoué avec le son qui m’a fait découvrir le groupe et que j’appréciais tant, même le chanteur King Krule et sa voix si particulière est à nouveau de la partie ! Autant dans les deux albums Cold Spring Fault Less Youth (2013) et Love What Survives (2017) le groupe avait un son qui leur était propre, autant le très brouillon MK3.5 Die Cuts City Planning (2022) dans lequel chacun des membres du duo avait travaillé dans son coin en raison du covid m’avait laissé perplexe. Je retrouve dans Sunset Violent cet agréable mélange de batteries new age et de guitares saturées, de voix déformées et de nappes de synthétiseurs qui apparaissent et disparaissent, donnant de la contenance à chaque morceau.
De l’Oasis 21 je marche en direction du Chunichi Building(中日ビル), siège du journal Chunichi Shimbun, tout nouvellement rénové et qui va ouvrir ses portes le 20 avril. Si les pigeons perchés sur leurs branches sont aux premières loges, je pense attendre quelques temps pour éviter la cohue qui suit ce genre d’ouvertures. J’irai sans doute faire un tour au magasins Hoka ou Mont Bell, ainsi qu’à l’intrigante café-librairie Bunkitsu (文喫) et au magasin de vinyles Face Records (フェイスレコード). Je n’ai toujours pas de lecteur de vinyles mais j’aime beaucoup passer en revue les pochettes de disque en écoutant l’excellente sélection musicale de ce genre d’endroits. Je continue ma promenade en direction de la gare de Nagoya. Orages soudains et rafales de vent, des branches de parapluie dispersées au sol témoignent de la météo instable de ces derniers jours. Les devantures aux couleurs criardes des restaurants en vogue contrastent avec la sobriété des petits établissements à l’ancienne que l’on trouve dans les ruelles étroites entre deux hauts immeubles. Arrivé à hauteur du Misonoza 御園座, salle de théâtre où sont jouées aussi bien des pièces de kabuki que de théâtre moderne, mon oeil est attiré par la superbe affiche du Voyage de Chihiro千と千尋の神隠し. Ne serait-ce que pour la musique, j’aurai volontiers été voir cette pièce si j’avais su qu’elle y étais jouée, même s’il est dommage que pendant les représentations à Nagoya ce ne soient pas les actrices Mone Kamishiraishi (上白石萌音) et Kanna Hashimoto (橋本環奈) qui interprètent le rôle de Chihiro. Je suppose qu’elles se réservent pour leurs dates au London Collisseum d’avril à août. Je me demande tout de même ce que peut donner l’adaptation du célèbre dessin animé sur scène étant donné le monument dont il s’agit. Cela me donne envie de le regarder une nouvelle fois.
Nous n’aurons décidément pas de chance avec le temps cette année. Lorsque je suis en congé il pleut et bien entendu il fait un temps superbe alors que je dois me rendre au travail. Dans la région Tōkai le pic de pleine floraison des cerisiers le week-end du 6 et 7 avril, une fois celui franchi les fleurs ont vite fait de faner et tomber au sol. Si dans la culture japonaise le phénomène est censé rappeler le caractère éphémère de la beauté et de la vie, elle me fait pour ma part chaque année revenir au poème ‘Mignonne, allons voir si la rose …’ de Ronsard, comme quoi je ne suis pas encore tout à fait tatamisé. Quoique, puisque bien que le ciel soit gris je n’ai pas pu m’empêcher de m’empresser, le lundi suivant, de me rendre au Parc Ōike (大池公園 ), où semblaient s’être rassemblé pendant quelques jours la totalité de la population de la ville de Tōkai. Des feuilles vertes commençaient à apparaître entre les fleurs roses, les pétales à s’accumuler sur le sol et dans le lac en contre-bas, mais je suis satisfait d’avoir pu en profiter. Bien sûr, il fallait qu’il pleuve 30 minutes après mon arrivée. Ephémère, effectivement …
Le printemps, le vrai … Je fais redécouvrir Kyōto à ma mère, de passage pendant une dizaine de jours. Lors de sa visite précédente il y a quelques années, à son arrivée les fleurs de cerisiers étaient déjà fanées, cette fois-ci, avec le mauvais temps du mois de mars l’éclosion est anormalement tardive. Nous parviendrons tout de même à trouver quelques fleurs de cerisiers par-ci par-là le long de notre promenade, notamment au Shōsei-en (渉成園), le jardin japonais rattaché au temple Higashi Hongan-ji, ou au temple Ryōzen Kannon(霊山観音) avec son imposante statue en béton de 24 mètres de haut. Les beaux jours ne sauraient tarder …
Le temps, pour un mois de mars, est exécrable, et le climat me semble complètement détraqué. Quand il ne pleut pas, il souffle un vent d’une violence inouïe. La température grimpe et baisse de dix degrés du jour au lendemain, il y a quelques jours il a même neigé quelques flocons. Dans ces conditions, tant bien même les fleurs de cerisiers sont elles écloses qu’il est impossible d’en profiter pleinement. Au moindre rayon de soleil j’en profite donc pour me ruer dehors et voir où en est la progression, et me balade pour ce faire cette fois-ci autour du quartier de Sakae. Selon la variété d’arbre l’éclosion est plus ou moins avancée et la palette de couleurs des fleurs varie du rose pastel au rose vif, mais il ne s’agit que d’arbres dispersés par-ci par-là, les beaux jours où les gouttes de pluie seront remplacées par les pétales voltigeant dans le vent semble encore bien lointaine.
Tel ce chien devant l’entrée de ce magasin, je suis à moitié somnolant, nonchalamment affalé sur un inconfortable banc bleu en plastique après avoir fait le tour du temple Nittai-ji (日泰寺) situé dans le quartier populaire de Nagoya qu’est Kakuōzan (覚王山). Nous sommes début février mais sans le moindre brin de vent le temps est très agréable pour la saison. J’y suis venu pour me recueillir un peu, trouver le calme, la tête embrumée par divers doutes et soucis – dont la panne de blog dont j’ai parlé dans le billet précédent. Je reste assis là un long moment, peut-être une demie-heure. Un homme en costume dans la trentaine que j’ai croisé plus tôt se fait réciter un sūtra par un moine à la voix caverneuse dans le hall principal du temple, sa voix semble comme résonner dans tout le quartier. Aimant beaucoup la rythmique de ces prières et leur musicalité alors qu’en dehors du gong retentissant au début et à la fin de prière elle ne sont la plupart du temps accompagnée d’aucun instrument, j’ai de par le passé tenté de retenir le Sūtra du Coeur (般若心経, Hannya shingyo), qui compte parmi l’un des plus populaires, mais comme dans ma démarche il s’agissait plus de faire impression que d’élever mon esprit, j’ai eu vite fait d’abandonner. Il m’arrive cependant de l’écouter avec sa retranscription sur Youtube, je ne peux alors m’empêcher de ressentir comme une frémissement quand retentit à la fin du sūtra mon passage préféré avec ses répétitions si particulières … ‘gya tē gya tē, ha ra gya tē, ha ra sō gya tē. Bo ji. So wa ka, Han nya shin gyō …’ (Il est inutile de s’inquiéter pour moi, je ne suis pas soudainement entré dans une quête mystique à la recherche de moi-même (encore que ?), je suis tout simplement un insatiable curieux !)
En marchant au hasard en direction de la gare de Motoyama (本山) dans l’idée de faire un détour par l’université de Nagoya, mon regard est attiré par une haute tour dont le toit dépasse des arbres alentours. En cherchant un moyen d’y accéder je tombe sur une étroite ruelle au bout de laquelle se trouve un torii rouge en bois menant à un escalier montant en zigzag vers un torii gris inhabituellement désaxé par rapport à celui au pied de l’escalier. Une fois en haut j’atteins le somptueux sanctuaire Shiroyama Hachiman-gū 城山八幡宮. Celui-ci a la particularité de se trouver sur l’emplacement du château de Suemori (末森城), dont la construction, ordonnée par le seigneur de guerre Oda Nobuhide, remonte à 1548. En ruines il n’en reste aujourd’hui qu’une stèle, mais je suis étonné par l’importante taille du sanctuaire, dont rien ne saurait présager la présence en un lieu aussi exigu, en haut de cette petite colline.
Après avoir fait inscrire l’un des nombreux sceau goshuin dans mon carnet je me dirige finalement vers le bâtiment aperçu précédemment, situé juste à quelques pas du sanctuaire. lI s’agit du Shōwa Jukudō (昭和塾堂), un centre d’éducation pour les enfants érigé en 1928 (an 3 de l’ère Showa) comportant entre autre une église, une cantine, une bibliothèque, ainsi que de nombreuses chambres et salles de classe pour une capacité de 600 personnes. Son auteur est Miki Kurokawa (黒川己喜), père de Kishō Kurokawa. Commandé par la préfecture d’Aichi, le bâtiment est bâti dans un but éducatif et a la particularité d’avoir été dessiné de manière à représenter l’idéogramme hito, (人, l’homme) quand celui-ci est vu du ciel. Malheureusement fermé en 2014, en dehors de rares occasions il n’est pas possible d’accéder à l’intérieur.
Avec tout ces détours je n’ai plus le temps de passer au Toyoda Memorial Auditorium à l’université, sur le chemin du retour je rêve secrètement que l’un des deux garçons entre à l’université de Nagoya pour que j’aie l’honneur d’y pénétrer pour l’une ou l’autre cérémonie, mais pour cela il faudrait un miracle. Peut-être qu’en allant prier régulièrement au Nittaiji … ?
Je m’organise sur un coup de tête une sortie au château de Gifu. Le temps est maussade ces derniers temps, il a même neigé la semaine dernière. Comme on annonçait de la pluie aujourd’hui je m’y suis rendu hier malgré la grisaille, mais finalement il fait soleil et presque 15 degrés à l’heure où je rédige ce billet.
La ville de Gifu est le chef-lieu de la préfecture du même nom. Située au nord de celle d’Aichi, il est préférable de s’y rendre en train afin d’éviter les pénibles bouchons de la grande boucle autour de Nagoya. Pendant le trajet qui prend autour de 45 minutes je m’écoute l’album Merkmal de la chanteuse japonaise Salyu. Comme il s’agit d’une ligne de chemin de fer que je n’emprunte pratiquement jamais je contemple le paysage en rêvassant. J’aime assez l’idée d’associer un album à un lieu, une ligne de bus ou de train, ou bien encore une portion d’autoroute. Quand j’y réfléchis, je crois que cette idée m’obstine depuis la période où, alors étudiant, j’écoutais l’album Parachutes de Coldplay à chaque fois que je faisais le trajet de Metz vers Châlons-en-Champagne, gare située à mi-chemin entre Metz et Paris. Une personne que j’appréciais alors beaucoup habitait à la capitale et nous nous retrouvions régulièrement à Châlons, bavardions quelques heures dans un café près de la gare puis repartions chacun de notre côté, avec à nouveau Parachutes dans les oreilles. (A noter que même sans cette ‘charge émotionnelle’, je pense qu’il s’agit d’un excellent album, sinon le seul bon album du groupe). Je m’égare.
Si je me réfère à mes statistiques Last.fm, je n’avais pas écouté Salyu depuis plus de dix ans. Elle s’est récemment immiscée dans mes suggestions et je me suis souvenu à une époque avoir énormément écouté Merkmal, de très loin son meilleur album. Pour une fois avec Keiko nous avions une artiste en commun, nous avions même été la voir en concert le 17 avril 2009 dans le cadre de la Merkmal 2009 Tour au Aichi Prefectural Art Theater ( dont je parlais récemment ici, à croire que tout est lié … ) Les premiers titres de l’album sont ce que la pop japonaise a de mieux à offrir à l’époque. L’orchestration, aux nombreuses couches, très théâtrale, est irréprochable, les refrains sont somptueux et la voix de Salyu est suffisamment puissante et maîtrisée pour que l’ensemble soit cohérent. Il faut dire que ce n’est rien d’autre que c’est Takeshi Kobayashi (小林 武史) qui est à la baguette sur cet album. Ce compositeur et producteur est une légende dans le milieu, ayant composé entre autre pour les artistes renommés tels que Mr.Children, My Little Lover, Back Number ou encore Hiroji Miyamoto. L’album monte en puissance et atteint son paroxysme avec le sublime VALON-1. Que ce soit dans sa construction, l’enveloppante profondeur de son orchestration, l’interprétation pleine d’émotion ou encore ses paroles chargées d’espoir, la chanson est parfaite en tout points. En terme de musique solennelle et universelle je la préfère largement au Jupiter, le pompeux titre d’Ayaka Hirahara (平原綾香) et son synthétiseur mollasson, que l’on croit bon de faire retentir dés qu’il s’agit de vouloir faire pleurer son public. Tandis que j’écoute VALON-1 en boucle je suis presque déçu d’arriver à destination, et pousse un profond soupir en rangeant mes écouteurs.
J’ai prévu de marcher de la gare de Gifu jusqu’au pied du Mont Kinka (金華山) puis de monter à pied jusqu’au château qui se trouve au sommet, ce qui devrait me prendre en tout deux heures en prenant mon temps. Il est facile de s’orienter dans la ville car même si le château est trop petit pour être visible de loin, le Mont Kinka apparaît et disparaît derrière les bâtiments au fur et à mesure que j’avance. Le hasard me mène au pied du temple Gifu Zenkō-ji 岐阜善光寺 – également appelé Inaba Zenkō-ji 伊奈波善光寺, Mont Inaba étant l’ancien nom du Mont Kinka dont l’entrée est gardée par un terrifiant ogre rouge aka-oni. Ogres et démons font leur apparition dans le pays à l’approche du setsubun, fête traditionnelle qui a lieu chaque année début février, et que l’on chasse de chez soi en leur jetant des graines de soja grillées. Après avoir fait rapidement le tour du temple je pense faire inscrire son sceau Goshuin dans mon carnet mais un écriteau indique que ‘la collecte des sceaux est un acte religieux et non un stamp rally‘. A bon entendeur salut …
Si le château de Gifu a été construit en 1201, il est notamment connu pour avoir assiégé par le seigneur de guerre Oda Nobunaga en 1567. Le château actuel est une construction en ciment réalisée en 1956. On peut y grimper en empruntant le funiculaire ou l’un des dix sentiers aménagés. Je choisis le plus long, intitulé Meisō no komichi めい想の小径, qui monte jusqu’au sommet à 329m sur un parcours long de 2.3km tout en permettant d’apprécier une vue dégagée sur la plaine derrière le château, dont la vue est d’habitude obstruée par le Mont Kinka. Par beau temps il parait que l’on peut apercevoir au loin le Mont Ontake (御嶽山) mais ce sera pour une autre fois. L’ascension se fait sans grosses difficultés en un peu moins d’une heure. Une fois en haut j’admire le château sous tout ses angles puis monte au sommet. Avec pareille vue sur les alentours on imagine aisément l’enjeu stratégique que représentait cet emplacement à l’époque ! Afin d’épargner mes genoux je redescends en funiculaire et prends le bus jusqu’à la gare. Dans le train du retour je poursuis mon écoute de Merkmal. Au final rien n’est à jeter dans cet album, même le curieuxtitre Howa 飽和 tombe à point en tant qu’interlude. Tout est tellement parfait qu’à la limite il en manque presque de personnalité, comme si tout avait était établi d’après de compliquées formules scientifiques connues seules du dément Kobayashi ; un bémol, un ou deux titres un peu moins bons par-ci par-là en aurait fait un album un peu plus humain, organique et chaleureux.
Le Toyota Municipal Museum of Art, qui fait l’objet des deux derniers billets, est l’oeuvre de l’architecte Taniguchi Yoshio (谷口吉生). Si Taniguchi Yoshio est notamment connu comme étant le concepteur du plan de rénovation du Museum of Modern Art (MoMA) de New York, il a également travaillé sur des musées symboliques du Japon, dont celui de la ville de Toyota. Les jardins aux alentours du musée sont quant à eux arrangés par un certain Peter Walker, architecte du paysage a qui l’on doit le célèbre projet Jewel Changi Airport, complexe commercial en verre comportant en son sein la plus haute chute d’eau en intérieur au monde, et ce en plein milieu du septième aéroport mondial en termes de trafic aérien.
L’architecture du bâtiment est une oeuvre d’art à part entière, et je pense avoir passé au moins de temps à l’extérieur qu’à l’intérieur du musée. Il me semble que je pourrais passer la journée à me balader autour à contempler la manière dont les ombres se transforment au fur et à mesure que le soleil monte dans le ciel. A l’étage l’on découvre un plan d’eau et une curieuse installation, The Colors Suspended: 3 Exploded Cabin (3つの破裂した小屋, 2003), de l’artiste, peintre, sculpteur et plasticien français Daniel Buren : Trois cabines dont l’intérieur est respectivement bleu, rouge ou jaune. La façade extérieure est intégralement recouverte de miroirs et de chaque côté se trouve une ouverture d’où l’on peut entrer à l’intérieur. A quelques pas devant chaque porte se trouve une cloison faisant la taille d’une porte. L’une de ses faces est de la même couleur que celle de la cabane, l’autre face est à nouveau constituée d’un miroir. La lumière du soleil, le paysage environnant, le musée et les visiteurs se reflète de toutes parts, s’entrechevêtrent au point que je ne peux pas affirmer avec certitude ne pas apparaître dans le pan d’un ou l’autre miroir. J’essaie de découper les images, d’y insérer des personnes ou de faire coïncider les lignes de bâtiments différents.
J’écris ces quelques lignes en écoutant IRIS: A Space Opera, l’époustouflante performance du groupe Justice. Je possède le premier album du groupe ( † , 2007) mais je ne l’ai pas écoute depuis un bon bout de temps. Au fur et a mesure que les titres défilent parfaitement enchaînés je me rends compte que j’en attribuait un certain nombre à leur compatriote français Jackson And His Computerband (Smash, 2005). C’était alors l’âge d’or de la ‘French House‘, toute la clique du label Ed Banger produisait à foison, je m’y suis perdu en cours de route … J’ai pris énormément de photos de l’installation de Buren, me mettant au centre de chacune des trois cabanes et photographiant chacune des quatre sorties, puis, à l’inverse, capturant chaque cloison à plus ou moins la même distance de celle-ci. En écoutant le concert m’est venu à l’idée de créer une animation ou une video où ces photos s’alterneraient au rythme de la musique. Dieu seul sait si cette Nième idée verra le jour ou non …
Deux semaines sans billet, des vacances, en quelque sorte ! Tout d’abord je souhaite, en retard, une excellente année aux fidèles lecteurs ainsi qu’à ceux de passage. Les aléas du calendrier font que j’étais malheureusement du soir pour le Réveillon et n’ai donc pas pu cérémonieusement regarder le Kōhaku en famille. A l’heure où nous basculions dans l’année 2024 j’étais sur mon vélo à faire hurler le dansant album de house ‘Happy Music’ de Supershy (mieux connu sous le nom de Tom Misch) en slalomant entre les personnes se rendant au sanctuaire le plus proche pour faire leurs voeux. Des titres comme Happy Music, Don’t Let Go et surtout le sublime Feel Like Makin’ Love me font pédaler comme un dératé en fanfaronnant comme un ivrogne, un comble alors que je n’ai rien bu.
2023 aura été une année plutôt agitée par rapport aux deux années précédentes, j’ai l’impression d’en avoir passé l’intégralité à bloc, la tête dans le guidon, sans vraiment pouvoir expliquer ce que j’y ai fait en particulier. Pour ce qui est du blog, il m’a semblé être parvenu à maintenir un rythme de croisière, ce qui n’a pas toujours été évident car nos sorties en famille ont été pratiquement inexistantes et qu’il a donc fallu davantage que les années précédentes aller chercher les sujets par moi-même. La page à propos du Tōkai Nature Trail est encore vierge, je n’ai toujours par réussi à allier de manière satisfaisante et cohérente le blog, mes carnets et mon compte Instagram, et le fait que je me sois remis à courir de manière régulière n’a rien arrangé. M’étant emmêlé les pinceaux sur WordPress j’ai apparemment perdu (?) une partie des statistiques des années passées mais le nombre de visiteurs a cette année encore été très bas. Si je me basais uniquement sur les chiffres pour évaluer s’il faut continuer ou pas ce blog une année de plus la réponse serait immédiatement négative, mais l’envie de me balader, de découvrir, prendre des photos, rêvasser et d’être créatif est toujours là. Nous verrons bien ou nous mène cette année 2024.
J’ai été en fin d’année au Toyota Municipal Museum of Art (豊田市美術館) pour aller voir une exposition intitulée ‘Frank Lloyd Wright and the World‘, organisée dans le cadre de la célébration du centenaire de la construction de l’Hôtel Imperial de Tōkyō, dont celui a été le principal acteur. L’exposition retraçait le parcours du célèbre architecte américain Frank Lloyd Wright (1867-1959) en mettant le point sur la manière dont son séjour au Japon a influencé ses oeuvres et l’impulsion qu’ont ensuite exercées celles-ci dans l’archipel bien sûr, mais aussi dans le monde entier – et j’invite ceux qu’intéressent à consulter cet article qui en parle trop bien pour que j’aie quoique ce soit d’autre à ajouter. Si l’exposition donnait une vue globale intéressante des rapports de Wright avec le Japon, j’ai surtout été fasciné par les superbes plans et perspectives en grand format de ses principales oeuvres, que l’on peut retrouver dans l’apparemment célèbre ‘Portfolio Wasmuth‘, un recueil en deux volumes de 100 lithographies du travail de l’architecte, publié en Allemagne sous le titre ‘Executed Buildings and Designs by Frank Lloyd Wright‘ en 1910 par l’éditeur berlinois Ernst Wasmuth.
J’aurai aimé être en mesure de dessiner des bâtiments de la sorte. Je m’y suis essayé plusieurs fois, tentant de recopier à l’identique la photo d’un bâtiment, mais sans grand succès. Pour commencer à se dépatouiller il faut évidemment passer par toute la théorie autour des perspectives à un ou plusieurs points de fuites etc, mais comme le solfège pour la musique ou la prononciation pour l’apprentissage du chinois, et j’ai à chaque fois rapidement abandonné. La photographie a de ce point de vue là un côté beaucoup plus intuitif … ll suffit d’appuyer sur le déclencheur pour que son ‘oeuvre’ soit là. Je me rappelle cependant avoir lu quelque part que le fait que la course à pied soit accessible à n’importe qui expliquait la raison de l’engouement général pour cette discipline, mais que cet enthousiasme impliquait aussi un problème pour ses pratiquants. Tout le monde peut courir, mais surtout on a vite fait de courir n’importe comment et il est ensuite difficile de se débarrasser de ses mauvaises habitudes. Si je suis bien conscient qu’il en est de même pour mes photos, le plaisir ressenti à photographier est tout doucement en train de prendre le pas sur celui que prends à écrire, mais je n’ai cependant pour l’instant toujours pas d’idée précise sur la manière d’incorporer cela dans mon blog …
Je suis rentré bredouille de ma ‘chasse au kōyō’ cette année. C’est sans doute une semaine trop tard que je me balade au Temple Yagoto Kōshō-ji (八事山興正寺), seuls quelques momijis autour de la pagode à cinq étages ont encore leurs feuilles rouges vif. Le temple se trouve dans le quartier universitaire de Yagoto, tout près de la station de métro Yagoto. J’étais certain d’y être venu l’année dernière mais mes archives m’apprennent que c’était il y a deux ans déjà, le temps passe tellement vite ! Le Kōshō-ji, temple de l’école du Bouddhisme Shingon, a été construit en 1688. Son site s’étale sur deux montagnes, Nishiyama (西山) à l’ouest et Higashiyama (東山)à l’est. Caché dans la montagne, Higashiyama était autrefois un endroit tenu secret, dédié aux études et à l’apprentissage et dont l’accès était interdit aux femmes. C’est par là que j’étais entré dans l’enceinte du temple la fois précédente. A une époque ou il y devait y avoir moins d’habitations et bien davantage de buissons et de forêts que de nos jours, j’imagine sans peine que rien ne laissait suggérer qu’un temple s’y trouvait.
C’est cette fois par l’entrée principale que je m’engage dans l’allée menant au temple. Mis à part quelques habitués, deux ou trois couples et l’un ou l’autre petit groupe de cinq ou six touristes qui passent sans trop s’attarder l’endroit est désert et il y règne un agréable silence. Bien décidé de profiter de la spiritualité du lieu je prends le temps de me déchausser et d’entrer à l’intérieur du hall principal Nishiyama-honden 西山本堂 pour m’assoir en face d’une représentation d’Amida Nyorai. Ces derniers temps j’ai particulièrement l’esprit embrouillé. Je veux tout faire en même temps, n’y parviens pas et me fait des reproches à cause de cela. Faut-il me concentrer sur une seule chose, ou bien tout simplement accepter mon insatiable soif de découverte comme quelque chose de positif et laisser mes envies me guider ? Je pense très sérieusement à travailler sur moi-même afin de parvenir à trouver le temps de souffler un peu et d’être comme on dit pompeusement, ‘en harmonie avec moi-même’. Je pense qu’il s’agit plus d’un manque de concentration qu’une simple incapacité à maîtriser mon emploi du temps. Pour m’aider dans mon périple, Keiko me parle des bienfaits de la calligraphie japonaise ou bien encore du zazen. Au point où on en est, pourquoi ne pas essayer ? Je reviens à moi, sans trop savoir combien de temps je suis resté assis, mais j’ai appris que j’ai tout simplement besoin de temps à autre d’un peu de silence complet afin de me trouver seul avec mes déjà trop bruyantes pensées. Je décide de me balader derrière l’autel principal en empruntant situé sur sa droite un chemin légèrement surélevé qui permet d’avoir une vue d’ensemble de la partie ouest du site. D’ici on ne voit que les toits des différents bâtiments, je rêvasse encore un peu, imaginant les moines se baladant autrefois dans les cours et les passages. Ce coin, si silencieux, semble comme hors du temps, il me faudra y revenir régulièrement, en temps creux, afin de me ressourcer.